La Résurrection du Seigneur- Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)
La divine surprise
« Nous sommes ressuscités avec le Christ ».
Frères et sœurs, aujourd’hui Pâques, c’est littéralement la divine surprise. C’est divin parce que c’est Dieu qui agit. C’est une surprise parce que nous ne nous y attendions pas. En effet, qui aurait pu croire à une histoire pareille : un rabbi galiléen qui fait deux années de ministère public, qui se brouille avec les autorités du temple qui dictent la vérité des choses, et qui termine comme un prophète assassiné. C’est normalement le point final.
À cette époque-là, mourir sur la croix, c’était pire que mourir sur la chaise électrique aux Etats-Unis. Qui aurait pu croire qu’après une histoire pareille, pratiquement deux mille ans après, les églises seraient encore pleines ? Si nous sommes là, il n’y a pas d’autre raison, c’est parce que Dieu nous a fait une divine surprise. Dieu nous surprend toujours, mais là on ne pouvait pas s’y attendre. Comment un pauvre homme qui a subi un supplice pendant plusieurs heures, qui a été mis au tombeau, et dont on a considéré que l’affaire était terminée, dont les disciples pour la plupart se sont enfuis ou se sont cachés, comment croire que le matin de Pâques ils ont proclamé qu’il était vivant ?
Effectivement, frères et sœurs, ce n’est pas facile de croire. Pourquoi ? Parce que notre foi est un vrai paradoxe. C’est quelque chose que nous ne maîtrisons pas. Ce n’est pas simplement un système, et c’est cela la surprise. Ce ne sont pas des idées, ce n’est pas une idéologie, c’est un fait. Si dans la nuit et le jour de Pâques nous baptisons des catéchumènes, c’est parce que nous croyons que ce que disait l’apôtre Paul dans l’épître aux Colossiens (3, 1-4) est encore vrai aujourd’hui : nous sommes ressuscités avec le Christ. C’est cela qui est étonnant. La plupart du temps dans les religions, nous avons l’impression qu’on nous donne des idées que nous n’aurions pas pu avoir par nous-mêmes.
Vous, nous, nous nous débrouillons avec l’informatique, avec la technique avec les biotechnologies, avec l’automobile, on gère tous les jours depuis les soucis les plus matériels du ménage jusqu’aux fusées qu’on envoie dans l’espace. Nous, nous considérons que c’est cela notre domaine. C’est le domaine de la terre et nous avons les pieds, les mains et les yeux sur terre. Nous considérons que la religion est une sorte de petit supplément d’imagination, de choses étranges, et la preuve c’est qu’il y a tellement de religions et chacun pense ceci et cela, on sera vivant après, notre âme sera immortelle, on sera réincarné dans un moustique etc. Les religions nous apparaissent comme des systèmes, des idées qui gèrent l’inconnu. Voilà les idées que nous nous faisons sur les religions : les religions, ce sont des idées.
Or, depuis que Paul a dit : « Nous sommes ressuscités avec le Christ », il a dit une chose inouïe que personne n’avait imaginée jusque-là. Désormais, la véritable relation avec Dieu n’est plus une idée, mais un transfert de vie. Que les messieurs me pardonnent, je vais parler plus spécialement aux dames qui ont eu un enfant. Ce mystère extraordinaire des premiers temps de la grossesse, lorsqu’elles sentent tout à coup qu’il y a quelque chose qui se passe. Il y a de la vie qui est née en soi, de la vie qui mystérieusement a germé. On y est pour quelque chose, on sait en général d’où cela vient, mais c’est vrai qu’il y a ce moment extraordinaire dans lequel j’imagine qu’une femme peut dire à celui qu’elle aime : « Je suis enceinte ». Quand elle dit cela, elle n’explique pas une idée ou une théorie, elle ne dit pas : « J’ai fait un nouveau petit citoyen français ! » Elle dit : « Je suis enceinte », c’est-à-dire « je suis prise par la vie, je suis saisie par quelque chose qui me dépasse ». Bien sûr on peut expliquer toutes les raisons physiologiques, la biologie, les cellules, l’ADN et la génétique, mais il y a ce moment où une femme se sent saisie par la vie.
Toutes proportions gardées, parce que nous les messieurs nous bénéficions du même avantage vis-à-vis de la résurrection : c’est la même chose. C’est comme si tout à coup nous étions, pardonnez-moi l’expression, enceints de Dieu. C’est comme si nous percevions tout à coup que la vie de Dieu, loin d’être une idée que nous projetons au-dessus de nous, loin d’être un projet de transformation du monde qu’on n’arrive d’ailleurs jamais à transformer, car c’est de plus en plus fatigant de transformer le monde, tout à coup, on s’aperçoit qu’on est ressuscités avec le Christ avec toutes les difficultés, les ennuis qu’on rencontre tous les jours, avec le mari qui n’a pas descendu les poubelles et la femme qui a raté son rôti, avec les enfants qui ont des mauvais résultats à l’école. C’est vrai qu’il y a tout cela, et pourtant, nous sommes ressuscités avec le Christ. Il y a quelque chose d’une vie nouvelle qui a germé en nous. Nous ne sommes pas à la hauteur, nous ne pouvons pas comprendre comme je pense la première fois qu’une femme a conçu, elle sait que l’événement la dépasse et surtout pour le premier, elle a des angoisses pour l’accouchement.
Mais ici c’est la même chose. Nous sommes riches d’une vie, non pas d’une idée, mais d’une vie qui est passée en nous. Cette nuit, aujourd’hui – et c’est si bouleversant et si beau de pouvoir célébrer les baptêmes maintenant en pleine assemblée eucharistique –, les catéchumènes qui ne se rendront compte de rien, seront visités par une vie nouvelle. Eux-mêmes sont déjà rayonnants et heureux, ils ont des mines épanouies, resplendissantes, et ils jouissent de la vie humaine qu’ils ont reçue de leurs parents, mais tout à l’heure, ils vont recevoir comme une nouvelle vie. Une vie si discrète, si simple, si douce, si tendre qu’on ne la remarquerait pas et pourtant, elle est là. Vous comprenez bien que dès demain on ne va pas leur faire le catéchisme pour leur expliquer des idées sur Dieu. Mais dès aujourd’hui, ils sont déjà saisis par la réalité de la vie du Christ ressuscité.
Oui, frère et sœurs, quand nous célébrons la résurrection, nous célébrons notre propre résurrection, pas simplement celle du Christ il y a environ deux mille ans, mais nous célébrons notre résurrection. L’intuition, la certitude que les premières communautés chrétiennes ont eue, ce n’était pas que le Christ consistait simplement en une histoire à raconter, un projet sur le monde, mais que c’était tout à coup qu’il était vivant. C’est pour cela que lorsqu’ils se saluaient ils se disaient : « Christ est ressuscité », et ils se répondaient les uns aux autres : « Oui, vraiment il est ressuscité ». Ce « vraiment » ne signifiait pas qu’ils étaient d’accord l’un avec l’autre, cela signifiait : « Vraiment, en moi aussi, Il est ressuscité ». C’est la seule force du christianisme. Tout le reste, tout ce que l’on met habituellement sous l’étiquette de l’Église, la hiérarchie, les grands pouvoirs, les grandes idées, les grandes institutions, tout cela est très respectable et très important, l’Église essaie de défendre cela bec et ongles, et ce n’est pas très facile. Mais nous, à notre place, là où nous sommes, nous avons à laisser percer en nous ce mystère de vie.
Je voudrais ajouter une dernière petite réflexion. Nous avons parlé de bébés et de la naissance. Mais je voudrais parler aussi des membres de nos familles qui sont malades, peut-être de maladies graves, c’est la même chose. Nos frères qui sont sur leur lit de souffrance, qui s’interrogent sur leur avenir proche, qui se demandent comment cela va finir, ce qu’ils attendent de nous à ce moment-là, non pas de façon tapageuse, bruyante, avec des espèces de convictions un peu à la matraque, c’est simplement d’être auprès d’eux comme ceux qui leur disent en les accompagnant : « Pour toi aussi, Christ est ressuscité ».
Frères et sœurs, laissons-nous saisir par cette joie, laissons-la éclater en nous, laissons-la éclater dans nos familles, dans nos enfants, dans tous ceux et celles qui ont été touchés par ce mystère extraordinaire de la présence du Christ. Oui, Christ est ressuscité. Alleluia. Il est vraiment ressuscité. Alleluia.