6ième Dimanche du Temps Ordinaire (Mc 1, 40-45) par D. Alexandre ROGALA (M.E.P.)

Quel changement d’attitude surprenant ! Alors qu’à la demande du lépreux, Jésus est « saisi de compassion » (Mc 1, 41), après l’avoir purifié, Jésus le renvoie aussitôt « avec fermeté ». La traduction liturgique a adouci le texte, car le texte grec nous dit clairement que Jésus « réprimande » le lépreux…qu’il lui parle de manière très dure !

Je ne pense pas que notre maître et Seigneur, soit lunatique. Alors, pour quelle raison Jésus passe-t-il de la compassion à l’agacement ?  Comment comprendre ce changement soudain d’attitude ? Cherchons une réponse dans les textes.

La première lecture est tirée du Livre du Lévitique (Lv 13, 1-2.45-46) nous rappelle ce que prescrit la Loi juive pour les personnes atteintes de lèpre. Tout d’abord, nous apprenons que c’est au prêtre que revient la tâche de constater la lèpre dont est atteint un membre de la communauté. La suite du texte que nous n’avons pas lu, nous informe que c’est aussi le prêtre qui peut constater la purification d’un lépreux et le réintégrer à la communauté.

Comme le suggère le texte, le lépreux était exclu du monde normal des vivants. C’est la raison pour laquelle on imposait au lépreux qui se déplaçait, d’avertir les autres de se tenir à l’écart de lui, à cause de son impureté, car dans la pensée juive l’impureté se transmet par le contact physique.

« Le lépreux atteint d’une tache portera des vêtements déchirés et les cheveux en désordre » (Lv 13, 45)

La mention du « vêtement déchiré » est très parlante, car il s’agit d’un rite de deuil. Dans la Bible, le vêtement déchiré peut aussi signifier la tristesse ou la colère. Nous pourrions dire que ce vêtement déchiré exprime extérieurement ce qui est ressenti intérieurement par le lépreux qui est exclu de la société.

Venons-en au texte d’évangile.   

Ce dimanche nous poursuivons la lecture du chapitre 1 de l’évangile selon Marc. « En ce temps-là, un lépreux vint auprès de Jésus » (Mc 1, 40). Remarquons d’emblée, que ce lépreux a eu l’audace de s’approcher de Jésus, c’est-à-dire, de s’approcher du monde des « personnes pures », alors que comme nous venons de le voir, la Loi de Moïse prescrivait aux lépreux de rester éloignés des autres.

Serait-ce pour cette transgression de le Loi que Jésus réprimande le lépreux à la fin du texte ? C’est peu probable puisque Jésus accède à sa demande : « Saisi de compassion, Jésus étendit la main, le toucha et lui dit : « Je le veux, sois purifié. » (1, 41).

Le texte nous dit que Jésus touche le lépreux, et en le touchant devient lui-même impur. Serait-ce donc parce qu’il s’est rendu impur que Jésus se met en colère ? C’est peu vraisemblable. En effet, nous savons par le récit de l’exorcisme dans la synagogue de Capharnaüm (1, 21-28) que Jésus est capable d’opérer un miracle par sa seule parole. Il n’avait donc pas besoin de toucher le lépreux pour le purifier. S’il l’a fait, c’est parce que ce geste a une signification. Si Jésus a touché le lépreux, c’est pour signifier qu’il prenait sur lui la condition du lépreux, c’est-à-dire qu’il prenait sur lui son « exclusion ». De fait, nous savons que lors de sa Passion, Jésus sera seul, rejeté par ses compatriotes. Il sera même abandonné par ses propres disciples qui fuiront, comme on « fuyait » à l’approche d’un lépreux.

« Avec fermeté, Jésus le renvoya aussitôt en lui disant : « Attention, ne dis rien à personne, mais va te montrer au prêtre, et donne pour ta purification ce que Moïse a prescrit dans la Loi : cela sera pour les gens un témoignage. » (1, 43-44)

Il me semble que ce verset est la clé qui peut nous permettre de comprendre pourquoi Jésus s’emporte contre le lépreux. La fin du texte nous montre que le lépreux purifié fait exactement l’inverse de ce qui lui a été demandé. Alors que Jésus a répondu à sa demande, lui ne s’est pas mis à l’écoute de la volonté de Jésus. La fin du texte nous dit que le lépreux « se mit à proclamer et à répandre la nouvelle » (1, 45).

Le problème, c’est que ce que le lépreux proclame, ce n’est pas l’Évangile, ce n’est pas la « Bonne Nouvelle ». C’est sa petite histoire de guérison qui réduit l’identité de Jésus à celle d’un puissant thaumaturge. L’histoire du lépreux donne à d’autres personnes le désir de bénéficier de la puissance bienfaisante de Jésus, et finalement, plus personne n’est disposé à écouter la proclamation et l’enseignement de Jésus, alors que « c’est pour cela qu’il est sorti » (1, 38). Dans l’évangile de dimanche dernier déjà, il nous a été rappelé que Jésus n’était pas un distributeur de miracles, et que les actes de puissance qu’il réalisait n’étaient que des signes attestant la véracité de sa proclamation de l’approche du Règne de Dieu.

Et à cause de sa renommée de puissant thaumaturge qui se répand partout, Jésus ne peut plus accomplir sa mission première qui, encore une fois, est de proclamer l’évangile de Dieu. L’évangéliste Marc écrit : « que Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville, mais restait à l’écart, dans des endroits déserts. De partout cependant on venait à lui » (1, 45). Même les « endroits désert » dans lesquels Jésus se retirait pour prier (1, 35), ne sont plus des lieux de ressourcement, car les gens viennent le trouver dans le but d’obtenir une guérison.

Pour répondre à notre question sur la raison pour laquelle Jésus s’emporte et réprimande le lépreux, nous comprenons d’une part, que Jésus devait être agacé de n’être considéré que comme un « faiseur de miracle », et que d’autre part, Jésus a dû comprendre  d’avance que le lépreux n’allait pas respecter la recommandation du silence, et que par conséquent, ce miracle finirait par devenir un obstacle à sa mission.

« Ne soyez un obstacle pour personne » nous dit l’apôtre Paul dans la deuxième lecture (1 Co 10, 32). Évidemment, le contexte est différent. L’obstacle dont il est question dans ce passage de 1 Co, est le scandale que peut causer le comportement d’un croyant.

« Je tâche de m’adapter à tout le monde, sans chercher mon intérêt personnel, mais celui de la multitude des hommes, pour qu’ils soient sauvés » (10, 33). Saint Paul nous rappelle que ce qui importe le plus, c’est que l’Évangile se répande afin que par lui, la multitude des hommes soit sauvée.

La mission première du chrétien est et sera toujours l’annonce de l’Évangile. Car c’est uniquement par l’Évangile qu’est Jésus Christ, que l’Homme peut être sauvé.

Contrairement à Saint Paul, nous ne pouvons sans doute pas encore dire avec assurance qu’en toute circonstance, notre unique souci est que l’Évangile se répande.

Peut-être pourrais-je profiter de ce bref moment en silence avant la suite de la célébration, pour faire un examen de conscience afin d’identifier les lieux et les situations dans lesquels, comme le lépreux, je suis un obstacle à l’Évangile : par mon comportement scandaleux, par mon orgueil, ou par mon manque de charité…

Ce matin, cette exhortation de saint Paul nous est adressée : « Imitez-moi, comme moi aussi j’imite le Christ » (1 Co 11, 1).  Ne soyons plus un obstacle à l’Évangile, mais devenons des imitateurs du Christ, en vivant nous-aussi selon l’Esprit de Dieu, et en portant avec notre Maître le souci du salut de tous les hommes. Amen !

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