« Le dire est une chose, le faire en est une autre »
Tout le monde connait ce dicton qui suggère que le passage à l’acte est plus important que les mots prononcés. De manière générale, nous sommes plutôt d’accord… Mais les lectures que nous propose la liturgie ce dimanche prennent à contre-pied cet adage. Même si les bonnes œuvres sont essentielles, la mission première du chrétien est l’annonce de l’Évangile.
Dans la deuxième lecture, nous avons entendu saint Paul déclarer : « Annoncer l’Évangile, ce n’est pas là pour moi un motif de fierté, c’est une nécessité qui s’impose à moi. Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! » (1 Co 9, 16)
Certes, ce souci particulier de l’évangélisation relève de la vocation spécifique de Paul, et du contexte qui était le sien. Au moment où il a écrit ces lignes aux Corinthiens, Paul pensait que la fin des temps était proche. Par conséquent, gagner au Christ le plus grand nombre possible de frères et sœurs était une urgence.
Et quand Paul écrit qu’il s’est fait « juif avec les juifs ; sans-loi avec les sans-loi ; faible avec les faibles », s’il s’est « fait tout à tous » (9, 20-22), c’est afin que l’Évangile qu’il annonçait soit accueilli.
Nous comprenons que pour Paul, ce qui est premier c’est « le dire » ; c’est l’annonce de l’Évangile. Son comportement et ses bonnes œuvres sont au service de son message, et non pas l’inverse.
Cela peut nous surprendre. Mais continuons à explorer les textes du jour pour essayer de comprendre pourquoi l’annonce de l’Évangile a plus de valeur que les bonnes actions.
Le texte d’évangile de ce dimanche (Mc, 1, 29-39) commence par le court récit de la guérison de la belle-mère de Simon. Puis, l’évangéliste Marc élargit la perspective en nous racontant une généralisation de l’activité de Jésus comme thaumaturge :
« Le soir venu, après le coucher du soleil, on lui amenait tous ceux qui étaient atteints d’un mal ou possédés par des démons. La ville entière se pressait à la porte. Il guérit beaucoup de gens atteints de toutes sortes de maladies, et il expulsa beaucoup de démons » (1, 32-34).
Remarquons d’abord, que si on amène à Jésus « tous ceux » qui étaient atteints d’un mal, Jésus en guérit « beaucoup ». Jésus guérit beaucoup de monde, mais pas tous.
Ensuite, alors que Jésus priait dans un endroit désert, Simon et ceux qui étaient avec lui partirent à sa recherche. Le verbe en grec (καταδιώκω), que nous traduisons en français par « partirent à sa recherche » suggère qu’il s’agit d’une « poursuite ». Simon et les autres disciples « poursuivent » Jésus. La raison de cette recherche acharnée est la volonté des disciples que Jésus se plie au désir des foules, en accomplissant d’autres miracles.
Jésus ne répond pas à cet appel et dit à ses disciples : « Allons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame l’Évangile ; car c’est pour cela que je suis sorti. » (1, 38).
Jésus pourrait multiplier les guérisons et les exorcismes, mais ce n’est pas pour cela qu’il est sorti. Jésus n’est pas un distributeur de miracle. Sa mission est d’abord de proclamer l’Évangile de Dieu (cf. 1, 14).
Alors que les foules et même ses propres disciples se concentrent sur les miracles qu’il réalise, ceux-ci ne sont que des signes qui accompagnent et confirment la véracité de sa prédication et son enseignement, à savoir que « le Règne de Dieu s’est approché » (1, 15).
Nous savons par les évangiles que dans sa prédication, Jésus parlait de ce « Règne de Dieu » en parabole. Et puisque les miracles qu’il réalisait étaient des signes confirmant ses paroles, nous en déduisons que les miracles que fait Jésus nous disent aussi quelque chose du « Règne de Dieu ».
Si pendant son ministère public Jésus a expulsé des démons, et guéri des malades, ce n’était pas seulement pour soulager certains de ses contemporains de leurs souffrances, c’était surtout pour signifier qu’à la fin des temps, lorsque la réalisation du « Règne de Dieu » sera achevée, il n’y aura plus de place pour les démons et les maladies. Dans le « Royaume », les puissances de mort seront anéanties.
Bien comprendre cela est ce qui est le plus important. Les miracles en tant que tels, n’ont pas beaucoup de valeur. Ils sont au service du message d’espérance de Jésus. Encore une fois, c’est la « parole » qui est première.
La première lecture apporte un éclairage supplémentaire. Nous avons entendu Job se plaindre avec des paroles très fortes :
« Je ne compte que des nuits de souffrance. À peine couché, je me dis : « Quand pourrai-je me lever ?” Le soir n’en finit pas : je suis envahi de cauchemars jusqu’à l’aube… mes yeux ne verront plus le bonheur. » (Jb 7, 3-4 ; 7).
Quand l’homme fait face à une grande souffrance, il peut arriver qu’il perde tout espoir. Comme Job, il se voit alors s’enfoncer dans la mort.
Une restauration comme celle dont bénéficie Job à la fin du livre (ch. 42), et les guérisons accordées par Jésus à certains malades, peuvent apporter un soulagement temporaire à une personne qui souffre, ce qui n’est pas négligeable. Mais l’accueil de l’Évangile est bien supérieur.
En effet, savoir dans la foi, que la souffrance et la mort n’auront pas le dernier mot, et l’attente d’un bonheur sans fin en Dieu, rendent celui qui met sa confiance en Christ, capable de supporter avec courage et espérance, les épreuves intrinsèques à la condition humaine.
Comme nous y invite le psalmiste, « Jouons donc pour notre Dieu sur la cithare ! Entonnons pour le Seigneur l’action de grâce ! » (Ps 147, 7). Remercions-le de nous avoir donné la foi et l’espérance. Ne gardons pas ces présents pour nous. Renouvelons notre élan missionnaire et que l’annonce de l’Évangile devienne pour nous, comme elle l’était pour saint Paul, une nécessité (1 Co 9, 16). Amen !