Le Saint Sacrement – Homélie du Frère Daniel BOURGEOIS, paroisse Saint-Jean-de-Malte (Aix-en-Provence)

 

Le corps du désir

pains_poissons1Frères et sœurs, vous avez remarqué comment l’évangéliste saint Luc introduit le récit du miracle de la multiplication des pains. Jésus s’est retiré dans un endroit désert et les foules le suivent et partent à sa recherche. Quand elles arrivent, Jésus leur fait bon accueil et commence par guérir un certain nombre de malades. Ensuite les disciples disent à Jésus : « Renvoie la foule, afin qu’ils aillent dans les villages et fermes d’alentour pour y trouver logis et provisions, car nous sommes ici dans un endroit désert ».

C’est un peu comme si les disciples disaient à Jésus : « Tu as nourri leur esprit, Tu as nourri leur cœur, Tu leur as parlé du Royaume de Dieu ; maintenant, laisse-les se débrouiller eux-mêmes tout seuls pour pourvoir aux besoins de leur corps, la nourriture et le logement ». Et c’est précisément à ce moment-là, quand les disciples ont envie pour ainsi dire d’éliminer la question du fait que ces gens ont un corps à nourrir et à loger, que Jésus va déclencher son propre miracle, multiplier les pains pour nourrir ces foules.

Vous remarquerez aussi comment Jésus, à la veille de sa mort, institue l’Eucharistie. Il sait qu’Il va souffrir. Quand Il dit : « Voici mon corps », Il ne désigne pas n’importe quel état de son corps, Il dit : « Mon corps livré ». Quand Il dit : « Mon sang », Il dit : « Mon sang versé », la sainte cènec’est-à-dire que le point de départ de l’Eucharistie, c’est un corps qui souffre, c’est un corps qui est donné, c’est un sang versé, c’est un corps qui va être livré à ce que nous connaissons de plus dur et de plus éprouvant dans notre propre corps d’hommes et de femmes, au moment où nous sommes livrés à la maladie, à la souffrance ou dans les derniers moments de notre vie lorsque nous sommes à l’agonie en nous débattant contre la mort. Quand Jésus fait le miracle de la multiplication des pains, quand Il propose le signe sacramentel de son corps livré et de son sang versé, Il propose son corps ou Il parle du corps des autres pour le nourrir en fonction du fait que ce corps éprouve la souffrance ou le désir, le besoin ou le manque.

Frères et sœurs, sommes-nous capables de nous rendre compte de l’actualité même de ce geste de Jésus ? Pour nous aujourd’hui, nous éprouvons notre corps comme le lieu de résonance de toute notre vie spirituelle. Notre corps, c’est le lieu de la résonance du désir. Pensez au désir de la faim : quand on a faim, c’est notre corps qui a faim et nous exprimons bien sûr notre faim par le langage et par une culture, par des procédés culinaires plus ou moins raffinés, mais en réalité c’est notre corps qui a faim. Quand nous souffrons, la souffrance est morale, mais qu’est-ce qui souffre ? C’est notre corps qui souffre et quand l’esprit éprouve cette souffrance, il crie, il clame sa détresse, mais c’est le corps qui est la source de cette réaction de l’esprit. De même encore, pensez au désir amoureux, le désir du bien-aimé pour la bien-aimée : c’est dans leur corps qu’ils éprouvent ce désir. Bien sûr, tout cela est répercuté au niveau de l’esprit, tout cela se manifeste par la poésie amoureuse, par le répertoire classique du langage amoureux, mais c’est d’abord le désir de notre corps qui se manifeste dans l’expérience amoureuse. Et dans la mort même, quand un être cher disparaît, de quoi souffrons-nous ? Nous savons bien que d’une certaine manière celui ou celle que nous aimons et qui nous a quittés, est mystérieusement, invisiblement, auprès de nous. Mais ce que nous voudrions précisément, c’est pouvoir lui donner un signe de tendresse, un signe d’affection, recevoir de lui un signe de sa présence, qu’il ne pourrait nous donner que par son corps.

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C’est parce que Jésus a connu lui-même tout cela, c’est parce que Jésus a fait l’expérience du mystère de notre corps qu’Il a voulu que le signe sacramentel de sa présence, de son amour passe par son propre corps. C’est parce que notre corps est le lieu de notre désir, parce que notre corps est comme le lieu de surgissement de toutes nos souffrances, de toutes nos détresses, c’est parce que notre corps est le lieu dans lequel retentit toute notre vie spirituelle à tout niveau que Jésus a voulu prendre son propre corps pour être Lui-même le lieu de rencontre entre Lui et nous. Autrement dit, lorsque nous célébrons l’Eucharistie, nous célébrons la rencontre de deux désirs. Et c’est cela qui est si beau et si grand. Et je dirais que d’une certaine manière nous célébrons aussi la rencontre de deux souffrances, de deux appels et de deux manques. Tout d’abord nous célébrons la souffrance, le désir du Christ Lui-même. Le corps qu’Il nous offre, même si c’est le corps du Christ ressuscité, c’est un corps qui est en manque, comme on dit aujourd’hui. De quoi est-Il en manque et de qui est-Il en manque ? De nous.

COMMUNIONQuand nous célébrons l’Eucharistie et que nous recevons la communion, c’est le corps du Christ qui s’offre à nous en nous disant : « J’ai besoin de toi, Je suis amoureux de toi, J’ai besoin de ta présence. Et c’est pourquoi Je viens à toi ». Le sacrement du corps du Christ, c’est le sacrement du désir de Dieu pour nous et sur nous. Mais c’est plus profondément encore un désir qui est allé jusqu’à la souffrance, un corps livré, du sang versé. Nous savons très bien à quel point déjà, dans nos propres existences, le désir peut engendrer la souffrance. Dans l’existence du Christ Lui-même, ce corps livré est celui-là même dont nous disons : « Corps livré, sang versé », c’est le corps désireux jusqu’à la souffrance, désirant notre salut, désirant notre amour, désirant notre réponse, désirant l’adhésion libre de tout notre être : corps, cœur et esprit. Autrement dit, aujourd’hui quand nous disons : « C’est la Fête-Dieu », c’est la fête du désir de Dieu.

Chaque fois que nous célébrons l’Eucharistie, et pas seulement aujourd’hui, nous célébrons le désir de Dieu. Dieu a désiré dans un corps d’homme et c’est parce que dans ce corps d’homme, Il a désiré notre salut et l’a voulu en l’accomplissant au prix de sa souffrance, qu’aujourd’hui Dieu nous donne son corps et son sang comme signe de son désir pour nous et sur nous. DSC_0590Mais lorsque nous disons : « Voici mon corps », en réalité nous le disons, nous le prononçons toujours au milieu d’une assemblée, si petite soit-elle et même si elle se restreint à la seule personne du célébrant, c’est déjà quelqu’un en face du Christ. Et donc, nous célébrons aussi, nous seulement le désir de Dieu, mais notre propre désir comme désir de chaque homme et comme désir de tous les hommes. Si le Christ a choisi son corps comme sacrement de l’amitié divine, c’est parce qu’Il veut que son corps nous rejoigne jusque dans notre corps, à la fois ce corps que nous formons tous ensemble et qui est le corps du Christ, l’Église, et c’est pour cette raison qu’on ne peut célébrer l’Eucharistie que dans le corps du Christ qui est l’Église, qu’on ne peut pas la célébrer en dehors de l’Église, avec un prêtre d’une religion étrangère et des membres d’une religion étrangère, car cela ne ferait pas le corps du Christ et ne constituerait pas l’Église. Mais nous célébrons l’Eucharistie dans le corps que tous ensemble nous sommes, et nous la célébrons pour chacun de nos corps, pour chacun de nos corps dans sa souffrance, dans son manque et dans son désir.

Et c’est bien là ce qui est étonnant, que Dieu sache à quel point notre corps est comme le résonateur de toutes nos souffrances, de tous nos manques d’aimer et d’être aimé. Dieu sait à quel point notre corps est le résonateur de toute notre vie spirituelle et finalement aussi de notre désir de Dieu. Notre corps n’est pas une abstraction, notre corps n’est pas un simple objet qu’il faut soigner avec des cosmétiques ou des médicaments, notre corps est d’abord nous-mêmes en tant qu’êtres de désir. Et Jésus vient rencontrer l’homme par ce même corps par lequel Il a désiré notre salut, Il vient rencontrer notre propre corps comme signe et résonateur de notre propre désir d’aimer, d’échapper à la faim, d’échapper à la souffrance, d’échapper à la mort. Autrement dit, il y a, dans toute célébration eucharistique, deux sacrements : il y a le sacrement du corps du Christ et celui de notre propre corps, de notre corps de souffrance et de désir, qui éprouve la faim et la soif, de notre corps livré à la mort, ce qui nous livre à l’angoisse et à la peur.

Aimez-vous comme je vous ai aimésTel est donc le sacrement de l’Eucharistie, sacrement du corps du Christ et sacrement de notre propre corps, soit dans son sens collectif et « corporatif  » lorsque, pris tous ensemble et formant une unique assemblée, nous formons dans le mystère de l’unité le corps du Christ qui est l’Église, soit dans son sens individuel et personnel, lorsque chacun de nous, humblement et portant le sens de notre souffrance, de notre misère et de notre pauvreté, nous venons dire au Christ : « Seigneur, j’ai besoin que Tu multiplies pour chacun d’entre nous, les merveilles de ta tendresse et de ta miséricorde ».

Et vous, frères et sœurs qui êtes malades, sachez le poids et la grandeur de votre souffrance, sachez le poids et la grandeur de votre désir. Vous-mêmes, vous portez de façon peut-être plus visible que les autres votre lot de souffrance et de peine, mais tous nous portons ce fardeau. Et vous manifestez au milieu de nous que le désir de Dieu vient rencontrer notre propre désir et il n’y a de Fête-Dieu, il n’y a de fête de Dieu et de fête de l’homme que lorsque le désir de Dieu vient rencontrer, transfigurer et nourrir le désir de chacun de nous, de chacun des hommes. Amen.

 

 

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