La Parabole du semeur
Jésus est au bord du lac de Tibériade et « il se mit de nouveau à enseigner, et une foule très nombreuse s’assemble auprès de lui ». L’affluence est telle que Jésus décide de prendre du recul, pour mieux les rejoindre tous… Il fait beau, il n’y a pas de vent, la mer est calme… « Jésus monte dans une barque et s’y assied, en mer ; et toute la foule était à terre, près de la mer »… Et il se mit à les enseigner en paraboles…
Aux scribes venus de Jérusalem et qui disaient à son sujet « Il est possédé de Béelzéboul », il avait déjà employé une parabole pour leur répondre (Mc 3,23-27). « Il faut comprendre la parabole comme la mise en scène de symboles, c’est-à-dire d’images tirées des réalités terrestres, pour signifier les réalités révélées par Dieu »… Il s’agit « d’évoquer la vie divine à partir de réalités terrestres qui prendront valeurs de signes »[1]. Jésus va donc employer des images très simples, tirées de la vie quotidienne de l’époque, pour évoquer « la vie divine », la vie de l’Esprit Saint… Les paraboles ne font donc que « montrer du doigt » ce « Dieu » qui « est Esprit » (Jn 4,24), invisible à nos yeux de chair, et qui échappe à tout emprise… Et il en est bien sûr de même avec ce « Royaume de Dieu », une expression qui renvoie à une vie de communion avec Dieu dans l’unité d’un même Esprit (Rm 14,17 ; Ep 4,3)… C’est pour cela qu’une parabole est souvent introduite par « comme » : « Comment allons-nous comparer le Royaume de Dieu ? Ou par quelle parabole allons-nous le figurer ? Il en est du Royaume de Dieu comme… » (Mc 4,30 ; 4,26).
Mais les paraboles des Evangiles ne peuvent pas être accueillies comme toutes les autres histoires… Pour bien les comprendre, il faut en effet essayer de percevoir les réalités spirituelles qu’elles évoquent, autrement on en resterait au niveau de toutes les histoires humaines et on passerait à côté du but visé par Jésus… Or, il n’évoque avec elles rien de moins que le Mystère de Dieu lui-même, ce Dieu invisible pour nous ici-bas, ce « Dieu Esprit », ce Dieu insaisissable… L’homme, laissé à ses seules forces d’homme, ne peut l’atteindre… St Paul emploiera lui aussi une comparaison pour évoquer cette difficulté : « Qui donc entre les hommes sait ce qui concerne l’homme, sinon l’esprit de l’homme qui est en lui ? De même, nul ne connaît ce qui concerne Dieu, sinon l’Esprit de Dieu » (1Co 2,11). Pour connaître « ce qui concerne Dieu », il s’agit donc d’abord de recevoir « l’Esprit de Dieu ». Et c’est bien ce qu’il dit juste avant et juste après : « C’est à nous que Dieu l’a révélé par l’Esprit… En effet, nous avons reçu l’Esprit qui vient de Dieu pour connaître les dons gracieux que Dieu nous a faits » (1Co 2,9-12). L’Esprit agit en effet au cœur de celui qui accepte de le recevoir comme une lumière grâce à laquelle il peut percevoir ce qu’il n’aurait jamais pu découvrir tout seul… « Dieu est Esprit »… « Dieu est Lumière » (1Jn 1,5)… Et « par ta Lumière, nous voyons la Lumière » (Ps 36(35),10). En recevant « la Lumière de l’Esprit », l’homme peut donc « voir la Lumière » et connaître, grâce à elle, « quelque chose » de ce Mystère de Dieu que le Fils est venu nous révéler (Jn 1,18). St Paul évoquera de cette action de l’Esprit en parlant d’un « Esprit de sagesse et de révélation » qui, par sa Présence, « illumine les yeux du cœur » et permet donc de « voir » ce que l’homme ne peut « voir » sans lui : « Daigne le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ, le Père de la gloire, vous donner un Esprit de sagesse et de révélation, qui vous le fasse vraiment connaître ! Puisse-t-il illuminer les yeux de votre cœur pour vous faire voir quelle espérance vous ouvre son appel, quels trésors de gloire renferme son héritage parmi les saints, et quelle extraordinaire grandeur sa puissance revêt pour nous, les croyants, selon la vigueur de sa force, qu’il a déployée en la personne du Christ, le ressuscitant d’entre les morts et le faisant siéger à sa droite, dans les cieux » (Ep 1,17-20).
« Prenez donc garde à la manière dont vous écoutez ! » (Lc 8,18). Il ne s’agit pas en effet d’écouter la Parole de Jésus avec notre seule intelligence… Il faut également lui ouvrir tout notre cœur. Or cette démarche est identique à celle que Dieu ne cesse de nous demander avec son Fils et par Lui, car lui ouvrir tout son cœur, c’est au même moment se détourner de tout cœur du mal, de tout ce qui s’oppose à Dieu… Ecouter Dieu engage donc tout notre être, toute notre vie, dans un mouvement intérieur où nous allons, aidés et soutenus par sa grâce, nous tourner entièrement vers Lui en renonçant au même moment à tout ce qui n’est pas en harmonie avec lui… Lorsque le Christ commence sa parabole par « Ecoutez ! », et qu’il la termine par « Entende qui a des oreilles pour entendre ! », il s’adresse donc à notre cœur, à notre conscience et il implore de chacun d’entre nous une bonne volonté, sincère et confiante… En effet, lorsqu’il parlera, l’Esprit de Dieu se joindra à sa Parole pour rendre témoignage en nos cœurs à cette réalité spirituelle qu’il évoque. « Celui que Dieu a envoyé prononce les Paroles de Dieu, car il donne l’Esprit sans mesure », cet « Esprit qui vient du Père et qui me rend témoignage » (Jn 3,34 ; 15,26). Quiconque ouvrira donc son cœur à la Parole de Jésus ne pourra donc que recevoir au même moment au plus profond de lui-même « l’Esprit donné sans mesure ». Or, « l’Esprit vivifie », pacifie, guérit, pardonne… Cette Présence de l’Esprit au cœur de celui qui consent à l’accueillir sera donc « Vie » et « Paix »… Elle ne se verra pas, elle se vivra… Et cette Vie reçue éclairera, par sa simple Présence, les Paroles de Jésus… Jésus parle de vie nouvelle et éternelle, donnée gratuitement par le Père des Miséricordes à tous ceux et celles qui acceptent de se repentir en vérité ? Quiconque répondra à cette démarche en toute bonne volonté, sincérité, simplicité, ne pourra qu’accueillir avec la Parole de Jésus l’Esprit qui vivifie… Et en vivant cette vie nouvelle, en l’expérimentant, en la goûtant, il pourra comprendre ce à quoi Jésus fait allusion par ses paraboles… « Prêtez l’oreille, écoutez et vous vivrez » (Is 55,3), par l’Esprit…
Ainsi « le semeur est sorti pour semer », car, dit Jésus en St Jean, « c’est de Dieu que je suis sorti et que je viens ; je ne viens pas de moi-même; mais lui m’a envoyé… Je suis sorti d’auprès du Père et venu dans le monde… Je suis descendu du ciel pour faire non pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé. Or c’est la volonté de celui qui m’a envoyé que je ne perde rien de tout ce qu’il m’a donné, mais que je le ressuscite au dernier jour » (Jn 8,42 ; 16,28 ; 6,38-40). Et le Père a donné à son Fils le monde à sauver : « Dieu », en effet, « a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, l’Unique-Engendré, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle. Il a envoyé son Fils dans le monde pour que le monde soit sauvé par lui » (Jn 3,16-17).
« Le semeur, c’est la Parole qu’il sème » (Mc 4,14). Ce que Jésus sème dans le monde, ce sont les Paroles qu’il a reçues de son Père… « Père, les Paroles que tu m’as données, je les leur ai données » (Jn 17,8). Elles nous disent l’Amour de Miséricorde que Dieu a pour chacun d’entre nous. « Le Père lui-même vous aime » (Jn 16,27). Oui, Père, « tu les as aimés comme tu m’as aimé » (Jn 17,23). Et comment le Père a-t-il aimé et aime-t-il son Fils Unique de toute éternité ? Il l’aime en lui donnant tout, tout ce qu’Il Est, toute sa Vie, sa Lumière et sa Paix… « Le Père aime le Fils et il a tout donné en sa main » (Jn 3,35). « Tu les as aimés comme tu m’as aimé » c’est-à-dire en te donnant à eux de la même manière, tout entier… Telle est la Bonne Nouvelle que Jésus ne cesse d’annoncer : l’Amour gratuit et inconditionnel du Père envers toutes ses créatures… Pour l’accueillir, il suffit de l’accepter, de se laisser aimer tel qu’on est, avec toutes ses failles, ses blessures, et d’essayer de suivre cet Amour, autant que la faiblesse humaine le permet, en vivant en harmonie avec lui, dans la même dynamique… C’est avant tout de cela qu’il s’agit, et non pas des « mérites » des uns ou des autres car « tous sont pécheurs ». « Il ne s’agit donc pas de l’homme qui veut ou qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde », et qui, en nous entourant d’un Amour de Miséricorde toujours offert, rend possible l’aventure d’une vie de communion avec Lui, grâce au Pardon qu’il ne cesse de nous proposer en surabondance (Rm 3,23 ; 9,16). « Près de toi se trouve le pardon pour que l’homme te craigne », c’est-à-dire, pour qu’il puisse vivre en tenant compte de toi (cf. Ps 130(129),4 ; 86(85),5)…
Mais cette Parole que Dieu, dans sa liberté souveraine, a décidé de venir nous adresser avec son Fils et par Lui, nous pouvons nous aussi décider librement de l’accueillir ou non… Et Jésus, par cette parabole du semeur, va évoquer quelques situations différentes au niveau de la réception de cette Parole (Mc 4,4-8), qu’il expliquera lui-même à ses disciples par la suite (Mc 4,13-20)…
« Et il advint, comme il semait, qu’une partie du grain est tombée au bord du chemin, et les oiseaux sont venus et ont tout mangé ». « Ceux qui sont au bord du chemin où la Parole est semée, sont ceux qui ne l’ont pas plus tôt entendue que Satan arrive et enlève la Parole semée en eux ». Ils écoutent donc la Parole de Dieu, mais ils n’ont aucune intériorité, aucun recul sur leurs désirs et donc aucun discernement… La porte de leur cœur est ouverte à tous vents… En St Matthieu, Jésus prend l’image d’un homme qui était habité par un « esprit impur »… « Lorsque l’esprit impur est sorti de l’homme, il erre par des lieux arides en quête de repos, et il n’en trouve pas. Alors il dit : Je vais retourner dans ma demeure, d’où je suis sorti. Étant venu, il la trouve libre, balayée, bien en ordre », mais personne ne veille à la porte pour ne pas laisser entrer et s’installer n’importe qui, n’importe quoi… « Alors l’esprit impur s’en va prendre avec lui sept autres esprits plus mauvais que lui; ils reviennent et y habitent. Et l’état final de cet homme devient pire que le premier » (Mt 12,43-45). Ainsi en est-il de ceux et celles qui vivent dans l’instant présent, sans recul ni attention à ce qu’ils vivent… Une idée leur traverse la tête ? Ils la mettent aussitôt en pratique, sans chercher à savoir si elle est bonne ou mauvaise… Seule la recherche de leur satisfaction immédiate guide leurs pas… Ste Thérèse de Lisieux avait l’attitude inverse : « Faut-il tant aimer le bon Dieu et la Sainte Vierge et avoir ces pensées-là !… Mais je ne m’y arrête pas ». Elle savait au moins y faire attention, les reconnaître, avoir un certain recul à leur égard… Car Satan ne cesse de se servir de nos convoitises, de nos cœurs blessés, faibles et fragiles pour « enlever la Parole de Dieu », vite oubliée si l’on n’y prend garde, et semer d’autres désirs pour nous entraîner loin de Dieu sur la pente de la facilité… Et l’Esprit nous est justement donné pour nous aider à veiller, à faire attention, à reconnaître à sa Lumière que tel ou tel chemin est en harmonie avec Dieu ou contraire à Lui. « N’éteignez pas l’Esprit, mais vérifiez tout : ce qui est bon, retenez-le ; gardez-vous de toute espèce de mal » (1Th 5,19-22) grâce à la force même de cet Esprit qui vient au secours de notre faiblesse si nous le laissons agir en nous… « Par trois fois, j’ai prié le Seigneur pour qu’il éloigne de moi » cette « écharde dans la chair », une mystérieuse faiblesse qui accablait St Paul. « Mais il m’a déclaré : Ma grâce te suffit : car la puissance se déploie dans la faiblesse. C’est donc de grand cœur que je me glorifierai surtout de mes faiblesses, afin que repose sur moi la puissance du Christ. C’est pourquoi je me complais dans les faiblesses, dans les outrages, dans les détresses, dans les persécutions et les angoisses endurées pour le Christ ; car, lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2Co 12,7-10). Aussi, St Paul en est certain : « Aucune tentation ne vous est survenue, qui passât la mesure humaine. Dieu est fidèle ; il ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces ; mais avec la tentation, il vous donnera le moyen d’en sortir et la force de la supporter » (1Co 10,13). Mais pour qu’il en soit ainsi, il s’agira pour nous de « veiller », de cœur, à garder notre regard intérieur tourné vers Celui qui nous a promis d’être avec nous tous les jours jusqu’à la fin du monde (Mt 28,20), pour recevoir de lui la force de lui demeurer fidèle. « Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation : l’esprit est ardent mais la chair est faible » (Mc 14,38). « Entrez donc par la porte étroite. Large, en effet, et spacieux est le chemin qui mène à la perdition, et il en est beaucoup qui s’y engagent ; mais étroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la Vie, et il en est peu qui le trouvent » (Mt 7,13-14).
La Parole est donc tombée au bord du chemin… Nul n’y a fait attention, elle n’a pas eu le temps de pénétrer au cœur car elle a tout de suite disparu sans pouvoir prendre racine…
« Une autre est tombée sur le terrain rocheux où elle n’avait pas beaucoup de terre, et aussitôt elle a levé, parce qu’elle n’avait pas de profondeur de terre ; et lorsque le soleil s’est levé, elle a été brûlée et, faute de racine, s’est desséchée » (Mc 4,5-6). « Ceux qui sont semés sur les endroits rocheux, sont ceux qui, quand ils ont entendu la Parole, l’accueillent aussitôt avec joie, mais ils n’ont pas de racine en eux-mêmes et sont les hommes d’un moment : survienne ensuite une tribulation ou une persécution à cause de la Parole, aussitôt ils succombent » (Mc 4,16-17). Jésus évoque ici les inévitables difficultés de cette vie sur cette terre, d’autant plus, nous a-t-il prévenus, que ceux qui essaieront de vivre la Parole en ce monde seront persécutés… Il suffit de regarder ce que Lui a subi : « Mon fils, si tu t’offres à servir le Seigneur, prépare-toi à l’épreuve ». Et « du moment qu’ils ont traité de Béelzéboul le maître de maison, que ne diront-ils pas de sa maisonnée ! » (cf. Si 2,1s ; Mt 10,17-25 ; Jn 15,18-27). Ainsi, ils ont entendu la Parole de Dieu avec un cœur ouvert : l’Esprit qui se joint toujours à la Parole a pu entrer en eux et semer ses fruits de paix, de joie, de douceur… « Vous avez accueilli la Parole avec la joie de l’Esprit Saint » (1Th 1,6), et alors quel bonheur ! Ils ont « gouté » et « vu » à quel point « le Seigneur est bon » (Ps 34(33),9). Mais ils n’auraient pas dû oublier la suite du Psaume : « Heureux qui s’abrite en lui ! » Et le verbe « s’abriter » évoque justement le fait que le Seigneur se propose d’être notre refuge au jour de l’épreuve. « Dieu est pour nous refuge et force, secours dans la détresse, toujours offert. Nous serons sans crainte si la terre est secouée, si les montagnes s’effondrent au cœur de la mer ; ses flots peuvent mugir et s’enfler, les montagnes, trembler dans la tempête. Il est avec nous, le Seigneur de l’univers ; citadelle pour nous, le Dieu de Jacob ! » (Ps 46(45),2-4). Ainsi, lorsque l’épreuve nous rejoint, Jésus nous invite à avoir des « racines » en nous-mêmes : que nous sachions retrouver au plus profond de nos cœurs cette Présence de Dieu qui ne nous quitte jamais car Dieu ne cesse de nous envoyer, de nous donner, son Esprit. Ste Thérèse de Lisieux écrivait : « Mon cœur est plein de la volonté du bon Dieu, aussi, quand on verse quelque chose par-dessus, cela ne pénètre pas à l’intérieur ; c’est un rien qui glisse facilement, comme l’huile qui ne peut se mélanger avec l’eau » (Noter la parabole !). « Je reste toujours au fond dans une paix profonde que rien ne peut troubler… Je m’arrange ainsi, même au milieu de la tempête, de façon à me conserver bien en paix au dedans ». Et lorsque le chemin devient plus difficile, Dieu le sait bien… Dans sa bonté, il nous envoie des grâces encore plus fortes pour nous aider à traverser l’épreuve… St Paul en parle en terme de consolation, de joie… « Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation, qui nous console dans toute notre tribulation, afin que, par la consolation que nous-mêmes recevons de Dieu, nous puissions consoler les autres en quelque tribulation que ce soit. De même en effet que les souffrances du Christ abondent pour nous, ainsi, par le Christ, abonde aussi notre consolation » (2Co 1,3-5). « Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance. Il est venu la remplir de sa Présence » (Paul Claudel). Encore faut-il que nous soyons là, attentifs de cœur dans la prière, pour l’accueillir…
« Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai. Chargez-vous de mon joug et mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez soulagement pour vos âmes. Oui, mon joug est facile à porter et mon fardeau léger » (Mt 11,28-30). Alors, si à certains jours, nous peinons sous le poids du fardeau de la vie, Jésus nous invite à venir à lui car Lui, de son côté, ne cesse de venir à nous par l’Esprit pour porter avec nous nos épreuves. Alors, avec lui et grâce à lui, la joie jaillira au cœur même de nos difficultés. « Je suis comblé de consolation », écrivait St Paul, « je surabonde de joie dans toute notre tribulation » (2Co 7,4). « Ne croyez pas que lorsque je serai au Ciel je vous ferai tomber des alouettes rôties dans le bec… Ce n’est pas ce que j’ai eu ni ce que j’ai désiré avoir. Vous aurez peut-être de grandes épreuves, mais je vous enverrai des lumières qui vous les feront apprécier et aimer. Vous serez obligés de dire comme moi : « Seigneur, vous nous comblez de joie par tout ce que vous faites » » (Ste Thérèse de Lisieux).
« Une autre est tombée dans les épines, et les épines ont monté et l’ont étouffée, et elle n’a pas donné de fruit » (Mc 4,7). « Il y en a donc d’autres qui sont semés dans les épines : ce sont ceux qui ont entendu la Parole, mais les soucis du monde, la séduction de la richesse et les autres convoitises les pénètrent et étouffent la Parole, qui demeure sans fruit » (Mc 4,18). Certains ont donc bien « entendu la Parole » mais d’autres réalités, contraires à cette Parole, coexistent avec elle… La bonne plante est bien là, mais des buissons d’épines poussent eux aussi et en se développant, ils étouffent la Parole qui ne peut pas donner son fruit…
Lianes Chouchous à la Réunion (Cirque de Salazie)
Pour évoquer ces épines, Jésus parle tout d’abord des « soucis du monde »… On peut en donner quelques exemples avec l’Evangile lui-même… « Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez. Car la vie est plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement » (cf. Lc 12,22-32). Et souvenons-nous de cette parabole : « Un homme faisait un grand dîner, auquel il invita beaucoup de monde. À l’heure du dîner, il envoya son serviteur dire aux invités : Venez ; maintenant tout est prêt. Et tous, comme de concert, se mirent à s’excuser. Le premier lui dit : J’ai acheté un champ et il me faut aller le voir ; je t’en prie, tiens-moi pour excusé. Un autre dit : J’ai acheté cinq paires de bœufs et je pars les essayer ; je t’en prie, tiens-moi pour excusé. Un autre dit : Je viens de me marier, et c’est pourquoi je ne puis venir » (Lc 14,16-20). Maintenant, Jésus ne parlerait plus de bœufs, mais d’une nouvelle voiture… Face à tous ces soucis, compréhensibles lorsqu’ils touchent au nécessaire de la vie, Jésus invite donc à la confiance car « votre Père sait bien ce qu’il vous faut, avant que vous le lui demandiez » (Mt 6,8). A nous, bien sûr, de faire de notre côté tout ce que nous pouvons… Mais cette dernière attitude peut déjà être vécue dans la certitude que Dieu nous guide et nous soutient pour que nos efforts portent le fruit espéré… Et St Paul nous invite lui aussi à cette confiance, qui se nourrit dans la prière et s’exprime dans l’action de grâces : « Le Seigneur est proche. N’entretenez aucun souci ; mais en tout besoin recourez à l’oraison et à la prière, pénétrées d’action de grâces, pour présenter vos requêtes à Dieu. Alors la paix de Dieu, qui surpasse toute intelligence, prendra sous sa garde vos cœurs et vos pensées, dans le Christ Jésus » (Ph 4,5-7).
Le deuxième exemple donné par Jésus est « la séduction de la richesse » qui nous pousse à mettre en elle une espérance illusoire de sécurité et de bonheur… Son attrait peut alors constituer un réel obstacle à la suite du Christ… A un jeune homme rencontré sur la route, Jésus déclara un jour : « « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux ; puis viens, suis-moi. » Entendant cette parole, le jeune homme s’en alla tout triste, car il avait de grands biens. Jésus dit alors à ses disciples : En vérité, je vous le dis, il sera difficile à un riche d’entrer dans le Royaume des Cieux. Oui, je vous le répète, il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume des Cieux » (Mt 19,21-26). Alors, quel sera pour nous notre trésor, nos richesses ou le Christ ? « Car où est ton trésor, là sera aussi ton cœur » (Mt 6,21). Si notre trésor n’est constitué que de biens matériels, alors « malheur à vous », malheureux êtes-vous, « les riches, car vous avez votre consolation » (Lc 6,24) : ces richesses qui sont incapables de vous donner ce pour quoi votre cœur a été fait : l’Esprit de Dieu qui, seul, peut le combler… Par contre, « heureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu » (Ps 33(32),12), « heureux est l’homme, qui met sa foi dans le Seigneur » (Ps 40(39),5), « heureux son invité, son élu », car « le Seigneur est bon » (Ps 34(33),9), « il donne la gloire, il donne la grâce » (Ps 84(83),12). Alors, « les biens de sa maison nous rassasient, les dons sacrés de son Temple » (Ps 65(64),5), « lui qui vous a fait le don de son Esprit Saint » (1Th 4,8), l’Esprit de Lumière, de Paix, de Vie… Tel est le trésor que nous portons dès maintenant dans « nos vases d’argile », écrit St Paul (2Co 4,7), un trésor d’où jaillit le vrai bonheur au cœur de toutes les difficultés de cette vie…
Ainsi, au milieu des épreuves qui nous affligent, « nous passons pour tristes, nous qui sommes toujours joyeux ; pour pauvres, nous qui faisons tant de riches ; pour gens qui n’ont rien, nous qui possédons tout » (2Co 6,10) dans la mesure où « nous avons reçu l’Esprit qui vient de Dieu » (1Co 2,12). Aussi, pour l’avoir expérimenté par lui-même, St Paul invitera à « chercher sa Plénitude dans l’Esprit » (Ep 5,18) qui jaillit de toute éternité de ce Dieu Amour qui ne cesse de se donner Lui‑même, comme une « Source d’Eau Vive » (Jr 2,13 ; 17,13). Alors, « heureux, Seigneur, qui se fie en toi » (Ps 84(83),13), « heureux celui qui met son espoir dans le Seigneur son Dieu » (Ps 146(145),3), car tous ceux qui ont espéré en toi n’ont jamais été déçus (Ps 22(21),6)… La vraie richesse est donc à chercher du côté du ciel, du côté de l’Esprit : « Du moment donc que vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d’en haut, là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu. Songez aux choses d’en haut, non à celles de la terre. Car vous êtes morts, et votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu : quand le Christ sera manifesté, lui qui est votre vie, alors vous aussi vous serez manifestés avec lui pleins de gloire » (Col 3,1‑4). Celui qui a découvert ce trésor intérieur de vie, a trouvé le Royaume des Cieux, déjà offert à notre foi, ici-bas, sur la terre, en attendant sa pleine découverte, au ciel… « Le Royaume des Cieux est semblable à un trésor qui était caché dans un champ et qu’un homme vient à trouver : il le recache, s’en va ravi de joie vendre tout ce qu’il possède », car sa vraie richesse est dorénavant ailleurs, « et il achète ce champ », donné gratuitement (Mt 13,44).
Le troisième exemple d’épines est constitué « des autres convoitises »… Peut-être pourrait-on résumer ce terme en parlant de « désirer prendre pour soi ». St Paul en parle avec le thème des richesses abordé précédemment : « Quant à ceux qui veulent amasser des richesses, ils tombent dans la tentation, dans le piège, dans une foule de convoitises insensées et funestes, qui plongent les hommes dans la ruine et la perdition » (1Tm 6,9). Dans cette logique, il s’agit donc, d’une manière ou d’une autre, de chercher par soi-même son bonheur, sa satisfaction immédiate, sans se préoccuper de savoir si l’action posée est bonne ou mauvaise. Tous les dérapages et les dérèglements sont alors possibles car le seul but poursuivi est la recherche, qui peut devenir parfois effrénée, des « plaisirs de la vie », comme le précise St Luc dans son passage parallèle à celui de Marc (Lc 8,14). Cette attitude est celle de l’égoïsme. Adam et Eve, sans tenir compte de la Parole de Dieu, tentés par le serpent, ont décidé de « prendre pour eux-mêmes » le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, afin de devenir « par eux-mêmes » comme des dieux (Gn 3,1-7).
Jésus aura l’attitude inverse. « Lui qui est de condition divine », écrit St Paul, « il n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal à Dieu », mais bien au contraire, dans une attitude d’humilité, « il s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur » (Ph 2,6-7)… Autrement dit, il n’a cherché que l’accomplissement de la volonté de celui qui l’a envoyé parmi les hommes (Jn 4,34 ; 5,30 ; 6,38). Et quelle est-elle ? « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés », écrit St Paul, et il mettra tout en œuvre par son Fils pour qu’il en soit effectivement ainsi (1Tm 2,4). Et Jésus, Serviteur du Père, se fera, par amour pour le Père, Serviteur des hommes : « C’est la volonté de celui qui m’a envoyé que je ne perde rien de tout ce qu’il m’a donné, mais que je le ressuscite au dernier jour » (Jn 6,39) et le Père a donné au Fils le monde à sauver (Jn 3,16-17). Mais cette volonté de salut, qui est celle d’un Dieu qui est Pur Amour, qui ne cherche que le bien de celles et ceux qu’il aime, sans aucun retour sur soi, ne peut pas s’imposer… Elle ne fera que se proposer, se proposer et se proposer encore, avec une fidélité inlassable et une extrême délicatesse jusqu’à ce qu’enfin la réponse tant attendue et tant espérée jaillisse de sa créature : « Oui, je crois ! », « Oui ! J’accepte ! » C’est ce que dit St Jean juste après avoir présenté la volonté de Dieu en Jn 6,39 : « Oui, telle est la volonté de mon Père, que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour » (Jn 6,40). Il se place cette fois du côté de l’homme appelé à « voir » ce que Dieu lui montre et à « croire » en ce qu’il lui révèle et lui propose : « la vie éternelle », cette vie qui est en Plénitude dans le Fils, qui rayonne de lui en lumière (Jn 1,4-5 ; 8,12 ; 12,46) et qui s’offre ainsi à la foi de tous ceux et celles qu’il rencontre… Mais pour cela, il leur faut sortir de la spirale infernale de l’égoïsme, du « par soi pour soi » qui enferme dans les ténèbres. « Le temps est accompli et le Royaume de Dieu est tout proche : repentez-vous et croyez à l’Évangile » (Mc 1,15). Détournez-vous de toutes ces convoitises où chacun ne recherche pour lui-même que « les plaisirs de la vie », et où bien souvent, d’une manière ou d’une autre, « on avilit », on détruit, « soi-même son propre corps » (Rm 1,24). Avec le secours de la force de l’Esprit Saint donné aux pécheurs pour qu’ils puissent se convertir (Ac 5,29-32 ; 2,37-41), « que le péché ne règne donc plus dans votre corps mortel de manière à vous plier à ses convoitises » (Rm 6,12). Ce même Esprit, qui est « la grâce de Dieu » par excellence, « source de salut pour tous les hommes, s’est manifesté, et nous enseigne à renoncer à l’impiété et aux convoitises de ce monde, pour vivre en ce siècle présent dans la réserve, la justice et la piété » (Tt 2,11-12). « Laissez-vous mener par l’Esprit et vous ne risquerez pas de satisfaire la convoitise charnelle » (Ga 5,16). Ne pas l’écouter, ne pas lui obéir, serait « éteindre en nous l’Esprit » (1Th 5,19-22) et donc « étouffer la Parole » (Mc 4,7) qui ne pourrait pas alors « donner de fruit ». Car le seul fruit durable que nous pouvons porter (1Jn 2,17) est celui de l’Esprit qui est « amour, joie, paix, bonté, bienveillance, patience » (Ga 5,22)… En vous tournant de tout cœur vers le Christ Lumière, laissez-vous revêtir de Lumière… « Revêtez-vous donc du Seigneur Jésus Christ et ne vous souciez pas de la chair pour en satisfaire les convoitises » (Rm 13,14). « Ceux qui appartiennent au Christ Jésus ont en effet crucifié la chair avec ses passions et ses convoitises » (Ga 5,24), en se détournant, grâce au secours de l’Esprit Saint, de cette vie déréglée où, autrefois, ils vivaient « selon les convoitises charnelles, servant les caprices de la chair et des pensées coupables, si bien qu’ils étaient par nature voués à la colère », c’est-à-dire aux ténèbres, conséquences du péché, « tout comme les autres » (Ep 2,3 ; Tt 3,3)… Mais « Dieu le Père vous a mis en mesure de partager le sort des saints, dans la lumière. Il nous a en effet arrachés à l’empire des ténèbres et nous transférés dans le Royaume de son Fils bien-aimé » (Col 1,12-13 ; 2P 1,4). Telle est l’œuvre de Dieu par l’Esprit : avec Lui et par Lui, le Père et le Fils (Jn 10,30) partent à notre recherche, jusqu’à ce qu’ils nous retrouvent (Lc 15,4-7), puis ils nous « saisissent » (Ph 3,13) et nous arrachent, si nous consentons à leur action, à tout ce qui est contraire à la Lumière et à la Vie… Grâce à Dieu, nous pouvons alors « abandonner notre premier genre de vie et dépouiller », petit à petit, de pardon en pardon, « le vieil homme », voué à la mort (Jc 1,15), « qui va se corrompant au fil des convoitises décevantes pour nous renouveler par une transformation spirituelle de notre jugement et revêtir l’Homme Nouveau, qui a été créé selon Dieu, dans la justice et la sainteté de la vérité » (Ep 4,22-24). Alors nous participerons, grâce au Christ Sauveur et par le « Oui ! » de notre foi, à cette Plénitude de Vie que Lui-même reçoit de son Père de toute éternité…
Tel est le trésor que le Christ ne veut pas voir « étouffé » en nous par « les soucis du monde, la séduction de la richesse et les autres convoitises ». Il sait que notre « esprit est ardent, et que notre chair est faible » (Mt 26,41). « J’ai veillé sur mes disciples, et aucun ne s’est perdu », a-t-il dit juste avant de mourir (Jn 17,12 ; Lc 22,32 ; 1Jn 2,1). Or, « quand je serai allé », a-t-il dit encore, à nouveau « je viendrai vers vous. Je ne vous laisserai pas orphelins » (Jn 14,18). Il continuera donc de veiller sur nous, ses disciples d’aujourd’hui, comme il le fit autrefois pour ceux et celles qui nous ont précédés. Qu’il soit donc « le jardinier » de notre cœur (Jn 20,15) qui « enlève inlassablement le péché du monde » (Jn 1,29) dans la mesure où, inlassablement, nous acceptons de le lui offrir et de repartir à sa suite. Alors, avec lui et grâce à lui, la Parole ne sera pas étouffée, et elle portera du fruit à raison de trente, soixante ou cent pour un (Mc 4,20).
Jésus, Lumière du monde (Mc 4,21-23)
« Et il leur disait : « Est-ce que la lampe vient pour qu’on la mette sous le boisseau ou sous le lit ? N’est-ce pas pour qu’on la mette sur le lampadaire ? Car il n’y a rien de caché qui ne doive être manifesté et rien n’est demeuré secret que pour venir au grand jour. Si quelqu’un a des oreilles pour entendre, qu’il entende ! »
Cette « lampe » qui « vient » est avant tout le Christ Jésus, lui « qui est venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité » (Jn 18,37), et donc « faire connaître le Père » (Jn 1,18), « le Dieu véritable » (Jn 17,3). Et puisque le Père est « Source d’Eau Vive » de toute éternité (Jr 2,13 ; 17,13), le connaître, c’est au même moment être inondé de cette Eau Vive de l’Esprit, « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63)… Faire connaître le Père, c’est donc semer la vie… Se mettre au Service du Père pour qu’il soit connu et reconnu dans le monde, c’est donc se mettre au service des hommes pour qui cette découverte du Père sera synonyme de vie éternelle, de bonheur, de Plénitude… « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu » (Jn 17,3)…
« En prêchant Jésus Christ », « Lumière du monde » (Jn 8,12) entrevue autrefois sur la route de Damas (Ac 9,1-19 ; 22,1-21 ; 26,12-18), St Paul à conscience de contribuer, pour sa part, à « la révélation d’un mystère enveloppé de silence aux siècles éternels, mais aujourd’hui manifesté » (Rm 16,25-27). En effet, Jésus, le Fils, nous a révélé « Qui » est Dieu : il nous a « manifesté son Nom » (Jn 17,6). Et « l’Esprit de Vérité » a reçu pour mission « d’introduire » les hommes, « dans la vérité tout entière » (Jn 16,13), et cela petit à petit, grâce à la « Parole de Vérité » (Ep 1,13) qui leur a été donnée. C’est ainsi que, du côté de Dieu, « il n’y a rien de caché qui ne doive être manifesté et rien n’est demeuré secret que pour venir au grand jour. » Et Jésus fait de nouveau appel à cette écoute intérieure, qui engage la personne tout entière à se tourner vers Dieu « de tout cœur » ; alors elle recevra de Lui le Don de l’Esprit qui lui permettra, par sa simple Présence en son cœur, de percevoir les réalités spirituelles qu’il évoque.
Aussi, « prenez garde à ce que vous entendez ! De la mesure dont vous mesurez, on mesurera pour vous, et on vous donnera encore plus. Car celui qui a, on lui donnera, et celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera enlevé » (Mc 4,24-25). Qui s’ouvrira « le plus possible » aux Paroles de Jésus recevra donc « le plus possible », et même « encore plus », car la générosité du Dieu infini est infinie… L’Eau Vive de l’Esprit coule en fleuves (Jn 7,37-39) ! Et celui qui a prouve, par le seul fait qu’il a, qu’il est ouvert à ce Dieu Source d’Eau Vive et qu’il accueille le Don de Dieu car « un homme ne peut rien recevoir, si cela ne lui a été donné du ciel » (Jn 3,27). Par contre, « celui qui n’a pas » manifeste, par le simple fait qu’il n’a pas, qu’il n’est pas ouvert à ce Dieu qui ne cesse de se donner lui-même… Fermé à Dieu, il est dans les ténèbres et donc sous la coupe du Prince des Ténèbres qui « ne vient que pour voler » (Jn 10,10). « Même ce qu’il a », si tant est qu’il a encore quelque chose, « lui sera alors enlevé »… Pierre, « j’ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille pas ». Qu’il en soit de même pour chacun d’entre nous !
Parabole du grain qui pousse tout seul (Mc 4,26-29)
Jésus propose ici une nouvelle parabole, dans la lignée de la précédente, mais il va insister cette fois sur le dynamisme propre au Royaume de Dieu. L’image reprise est celle du grain « jeté en terre », et l’on suppose cette fois qu’il a été « semé dans la bonne terre ». Cette semence va « germer, pousser », sans que l’homme qui l’a reçue en son cœur ne sache comment.
Et puis, « d’elle-même », la terre produira d’abord « l’herbe…
… puis l’épi, puis plein de blé dans l’épi ».
Cette terre renvoie donc à tous ceux et celles qui ont accueilli en leur cœur la semence de la Parole, et avec elle, nous l’avons vu, le Don de l’Esprit (Jn 3,34). Cet Esprit va être « Eau vive » qui va arroser la terre (Jn 7,37-39), la pénétrer, s’unir à elle (1Co 6,17), devenir « un » avec elle et lui donner, petit à petit, de développer toutes les potentialités qui sont les siennes. Grâce à cet Esprit, elle pourra donner le meilleur d’elle-même…
Dieu a créé l’homme au Souffle de l’Esprit (Gn 2,4b-7), et c’est ce même Esprit, communiqué par le Christ ressuscité (Jn 20,22-23) qui va lui permettre d’accomplir sa vocation à être « à l’image et ressemblance » de ce Dieu « Amour » (Gn 1,26-28 ; 1Jn 4,8.16) qui ne cesse de donner et de se donner à tous pour le bien de tous… « L’Amour », en effet, « a été versé dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5,5). Et c’est ce Don qui, petit à petit, va nous entrainer sur les chemins de l’amour, « à l’image du Fils » (Rm 8,28-30), Lui qui n’a cessé d’aimer et de nous inviter à aimer : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 15,12). Tel est le but, l’idéal, l’horizon vers lequel nous marcherons toute notre vie. Et c’est l’Esprit qui nous permettra de nous engager sur ce chemin et d’y progresser, du moins, nous l’espérons !
L’Esprit va donc commencer par travailler profondément, de l’intérieur celui ou celle qui le reçoit… Avec lui et par lui naîtra une créature nouvelle… En effet, « le jour où apparurent » par le « Verbe fait chair » (Jn 1,14), « la bonté de Dieu notre Sauveur et son amour pour les hommes, il ne s’est pas occupé des œuvres de justice que nous avions pu accomplir, mais, poussé par sa seule miséricorde, il nous a sauvés par le bain de la régénération et de la rénovation en l’Esprit Saint » (Tt 3,4-5), le sacrement du baptême. Cette « rénovation » est « régénération », nouvelle naissance, comme le dit le Christ à Nicodème : « En vérité, en vérité, je te le dis, à moins de naître d’eau et d’Esprit, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né de l’Esprit est esprit. Ne t’étonne pas, si je t’ai dit : Il vous faut naître à nouveau » (Jn 3,5‑7). Cette nouvelle naissance est totalement l’œuvre de Dieu, par le Don de l’Esprit. Elle est un point de départ, un appel à vivre selon « cette créature nouvelle » qui a été comme « greffée » en nous par l’Esprit…
L’Esprit devient ainsi un principe de vie au cœur de celui et celle qui ont accepté de le recevoir. « Tout ce qui est en eux est vie de son Esprit » (Is 38,16). Dieu l’avait promis : « Je vais répandre de l’eau sur le sol assoiffé et des ruisseaux sur la terre desséchée ; je répandrai mon Esprit sur ta race et ma bénédiction sur tes descendants. Alors, ils germeront comme parmi les herbages » (Is 44,3-4). Et de fait, avec le Christ et par le Christ, grâce au Don de l’Esprit, « d’elle même la terre produit d’abord l’herbe ». Puis « l’herbe » devient « épi », avec ensuite « plein de blé dans l’épi » (Mc 4,28)… Tout ce qui est vie, de par le dynamisme même de la vie, grandit, se développe… Le moteur de cette croissance sera encore l’Esprit Saint grâce à qui, jour après jour, tout grandit et s’affermit : « Que le Père, de qui toute paternité, au ciel et sur la terre, tire son nom, daigne, selon la richesse de sa gloire, vous armer de puissance par son Esprit pour que se fortifie en vous l’homme intérieur » (Ep 3,14-16)…
Puis vient l’heure des fruits, qui seront encore « le fruit de l’Esprit » (Ga 5,22). Isaïe en parle en termes de « droiture », de « justice », de « paix », de « repos » : « Que se répande sur nous l’Esprit d’en haut, et que le désert devienne un verger, un verger qui fait penser à une forêt. Dans le désert s’établira le droit et la justice habitera le verger. Le fruit de la justice sera la paix, et l’effet de la justice repos et sécurité à jamais » (Is 32,15-18).
Et de fait St Paul parlera « d’être justifié par l’Esprit », la conséquence par excellence du baptême : « Vous avez été lavés, vous avez été sanctifiés, vous avez été justifiés par le nom du Seigneur Jésus Christ et par l’Esprit de notre Dieu » (1Co 6,11). « Cet Esprit », écrira-t-il à Tite, « Dieu l’a répandu sur nous à profusion, par Jésus Christ notre Sauveur, afin que, justifiés par la grâce du Christ, nous obtenions en espérance l’héritage de la vie éternelle » (Tt 3,6-7), en commençant à goûter, dès ici-bas, à « quelque chose » de cette vie éternelle, car Dieu veut que « l’Esprit », petit à petit, devienne « notre vie » (Ga 5,25). Et c’est lui encore qui sera notre paix, notre repos, comme le Christ : « Que la paix du Christ règne dans vos cœurs » (Col 3,15), car « le fruit de l’Esprit est amour, joie, paix » (Ga 5,22)… Et l’espérance ne nous décevra pas (Rm 5,5) : cette Paix sera parfaite à l’heure de « la moisson », lorsque « la faucille » de la mort viendra nous cueillir pour le Royaume, « espérance de la gloire » (Col 1,27) !
La parabole du grain de sénevé (Mc 4,30-32)
Le grain de sénevé est « la plus petite de toutes les graines qui sont sur la terre », une graine qui renvoie encore à la Parole de Dieu semée par Celui qui est « doux et humble de cœur » (Mt 11,29) et qui s’est présenté à nous « non pas comme celui qui est à table, mais comme celui qui sert » (Lc 22,26). Avec cette Parole, l’Eau Vive de l’Esprit féconde la terre, un Esprit invisible par nature à nos yeux de chair, un Esprit de Paix qui ne fait pas de bruit, un Esprit de Douceur qui ne s’impose pas… Bref, il apparaît aux yeux du monde comme une réalité insignifiante… Et pourtant, c’est la Puissance du Dieu infini qui se déploie en cet « Esprit de force » (2Tm 1,7 ; Ac 1,8). Alors, grâce à « la puissance de l’Esprit, la puissance du Seigneur » (Lc 4,14 ; 5,17), cette petite graine apparemment sans importance deviendra « la plus grande de toutes les plantes potagères »… Tel est le Mystère de ce Royaume de Dieu qui est communion avec Dieu, « justice, paix et joie dans l’Esprit Saint » (Rm 14,17), Puissance de Vie donnée en fleuves pour que le monde ait la Vie (Jn 7,37-39 ; 10,10)…
D. Jacques Fournier
[1] SESBOÜÉ Daniel, « Parabole », Vocabulaire de Théologie Biblique (Ed. du Cerf ; Paris 1995) col. 891.
Fiche n°10 (Mc 4,1-34) Document PDF pour éventuelle impression