Il n’y a pas de paix possible pour l’homme qui s’imagine qu’un talent, une grâce ou une vertu quelconques le séparent et le placent au-dessus des autres. Solitude ne signifie pas séparation. Dieu ne nous donne ni talents, ni grâces, ni vertus pour nous seuls. Nous sommes membres d’un même corps et tout ce qu’un membre reçoit doit bénéficier au corps tout entier. Ce n’est pas pour que mes pieds soient plus beaux que mon visage que je les lave.
Les saints sont heureux de leur sainteté, non parce qu’elle les sépare de nous et les place au-dessus de nous, mais au contraire parce qu’elle les rapproche de nous, et en un certain sens, les place au-dessous de nous. Leur sainteté leur est donnée pour qu’ils puissent nous aimer et nous servir – car les saints sont des médecins et des infirmières qui sont supérieurs aux malades par le fait qu’ils sont en bonne santé et savent comment les guérir, et qui cependant se font leurs serviteurs puisqu’ils consacrent cette santé et cette science à les guérir.
Les saints sont ce qu’ils sont, non parce que leur sainteté les rend admirables aux autres, mais parce qu’elle leur permet d’admirer tous les autres. Elle leur donne une lucidité compatissante qui les aide à discerner le bien chez les plus affreux criminels. Elle les délivre du fardeau de juger les autres, de les condamner, et leur apprend à faire apparaître le bien qui est en eux par la pitié, la miséricorde et le pardon. L’homme devient saint non parce qu’il se croit différents des pécheurs, mais parce qu’il comprend qu’il est semblable à eux, et qu’ils ont tous besoin de la miséricorde de Dieu !
C’est dans l’humilité que se trouve la vraie liberté. Tant que nous sommes obligés de défendre le moi imaginaire que nous croyons important, nous perdons la paix de l’âme. Dès que nous comparons cette apparence avec les apparences des autres, nous perdons toute joie, parce que nous avons affaire à des choses imaginaires et qu’il n’y a pas de joie dans ce qui n’existe pas.
Dès que nous commençons à nous prendre au sérieux et à nous imaginer que nos vertus ont de l’importance parce qu’elles sont nôtres, nous devenons prisonniers de notre vanité et nos meilleures actions nous aveuglent et nous trompent.
Alors, pour nous défendre, nous commencerons à voir des péchés et des fautes dans toutes les actions du prochain. Et plus nous attacherons une importance disproportionnée à nous-mêmes et à ce que nous faisons, plus nous aurons tendance à nous créer une fausse idée de nous-mêmes en condamnant les autres. Parfois les hommes vertueux sont malheureux et amers, parce qu’ils en sont arrivés, inconsciemment, à croire que leur bonheur dépend de leur supériorité sur les autres.
Lorsque l’humilité délivre l’homme de l’attachement qu’il porte à ce qu’il fait et à ce qu’on dit de lui, il découvre que la joie parfaite n’est possible que dans une abnégation complète. C’est seulement lorsque nous ne prêtons plus la moindre attention à nos actions, à notre réputation et à nos mérites, que nous sommes enfin entièrement libres de servir Dieu, et Lui seul.