Tout est Don de Dieu (22ième Dimanche TO ; Mt 16,21-27) – D. Jacques FOURNIER

            Dans la première lecture (Jr 20,7-9), le Prophète Jérémie évoque « la Parole de Dieu » comme « un feu brûlant dans mon cœur ». En effet, le Don de l’Esprit Saint se joint toujours à la Parole de Dieu. Jésus déclare ainsi en Jn 3,34 : « Celui que Dieu a envoyé prononce les paroles de Dieu, car il donne l’Esprit sans mesure », un Esprit qui est Amour (Jn 4,24 ; 1Jn 4,8.16) et donc à ce titre « feu ». « Lui », le Christ, « vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu » déclare Jean Baptiste (Mt 3,11). C’est ainsi que les deux disciples d’Emmaüs, en se rappelant leur rencontre avec le Christ ressuscité, se disaient l’un à l’autre : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? » Et le feu de cet Amour est vainqueur en nous, pécheurs, vis-à-vis de tout ce qui s’oppose à lui… Telle fut l’expérience de Jérémie : « Seigneur, tu m’as séduit, et j’ai été séduit ; tu m’as saisi, et tu as réussi »Et moi, de mon côté, « je m’épuisais à maîtriser » ta Parole en mon cœur, me disant que « je ne penserai plus à toi, que je ne parlerai plus en ton nom », « sans y réussir »… En effet, en annonçant la Parole de Dieu, Jérémie ne pouvait qu’évoquer les conséquences dramatiques de l’abandon de Dieu… Il est « Amour » (1Jn 4,8.16), « Lumière » (1Jn 1,5), « Paix » (Rm 15,33 ; 16,20 ; 1Co 14,33 ; 2Co 13,11 ; 2Th 3,16) ? Le mettre de côté, c’est se plonger soi-même dans les ténèbres de l’égoïsme, de la haine, de la jalousie, de la discorde, avec toutes les « violences » et les « dévastations » qu’une telle attitude ne peut qu’entraîner… Et bien sûr, oser dire à un orgueilleux qu’il a tort, c’est aussitôt s’attirer « la raillerie », « les moqueries »…   Jérémie en avait assez de toutes ces souffrances, et il a voulu tout arrêter, en abandonnant donc ces orgueilleux aux conséquences dramatiques de leur orgueil… C’est bien compréhensible, humainement parlant, mais du point de vue de Dieu qui ne cesse de poursuivre le Bien de tous les hommes qu’il aime (Jr 32,40-41 ; Lc 15,4-7), il est impensable d’abandonner le pécheur, son enfant toujours bien aimé, à « la souffrance » (Rm 2,9) que ne peut qu’engendrer le mal qu’il commet, aussi bien dans sa vie et que dans celle de toutes les personnes qui en seront les victimes… Quelque part, Jérémie, pécheur lui aussi, pense plus à son intérêt qu’à celui de ses ennemis, ce qui, encore une fois, est bien compréhensible ! Mais Dieu va triompher en Lui, et il continuera à annoncer cette Parole de Dieu, qui n’a d’autre but que le meilleur pour tous, fidèles ou infidèles (2Tm 1,13 ; Mt 5,42-48) et cela envers et contre tout… « Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s’il a soif, donne-lui à boire »… S’il te fait souffrir, continue à travailler à son bien… « Ne  te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien » (Rm 12,20-21). « L’Amour Vainqueur se crie à tous les vents » (Tropaire CFC)…

            Jérémie est ainsi un exemple pour nous tous, car de par notre baptême et le Don de l’Esprit Saint, nous sommes tous « prêtres, prophètes et roi »… Cette Parole du seigneur qui lui fut adressée autrefois, « je fais de toi un prophète pour les nations » (Jr 1,5) s’applique donc à chacun d’entre nous. Et avouons-le, nous avons souvent la réaction de Jérémie : « Ah ! Seigneur mon Dieu ! Vois donc : je ne sais pas parler, je suis un enfant ! » (Jr 1,6). Je ne suis pas capable… Mais Dieu lui répondit : « Ne les crains pas, car je suis avec toi pour te délivrer – oracle du Seigneur » (Jr 1,8). C’est exactement la même Parole que le Christ donnera à toute son Eglise, et donc à nous tous : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20)…

            Cette expérience de Jérémie est aussi celle du Psalmiste… Il fut tenté de rechercher avant tout son intérêt personnel en laissant de côté celui des autres, d’autant plus que ces autres ne faisaient que le plonger dans la souffrance ? « Ton amour vaut mieux que la vie »… Et puisque l’Amour ne désire que notre vie, pleine, heureuse (« Je suis venu pour qu’on ait la vie, et qu’on l’ait en surabondance » (Jn 10,10)), cette « vie » ici ne peut qu’être celle qui est synonyme de recherche de soi, de son intérêt, et donc d’égoïsme, et cela dans la seule quête des biens matériels, des plaisirs de toutes sortes… Et pourtant, s’il accepte de renoncer à ces « festins » illusoires, il ne pourra que constater à quel point le Seigneur « met dans son cœur plus de joie que toutes leurs vendanges et leurs moissons » (Ps 4,8). Et c’est bien ce qu’il déclare en ce Ps 62 (63) : « Tu seras la louange de mes lèvres ! Toute ma vie, je vais te bénir »… Car « comme par un festin, je serai rassasié »…

            Mais pour cela, comme le déclare St Paul dans sa Lettre aux Romains, plutôt que de se chercher soi, il faut se donner, à Dieu et donc aux autres… Faire le sacrifice de son égoïsme, pour vivre l’amour… « J’ai décidé de m’oublier… Et depuis lors, je fus heureuse » (Ste Thérèse de Lisieux). « Je vous exhorte donc, frères, par la tendresse de Dieu, à lui présenter votre corps – votre personne tout entière –, en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu : c’est là, pour vous, la juste manière de lui rendre un culte. Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait »… Or ce discernement est un Don de Dieu… Il est encore un fruit de ce Don de l’Esprit Saint reçu au baptême, un Esprit qui apporte avec lui « amour, joie, paix » (Ga 5,25), la joie que vivait déjà le Psalmiste : « La joie sur les lèvres, je dirai ta louange… Je crie de joie à l’ombre de tes ailes »… St Paul écrit ainsi dans sa Première Lettre aux Thessaloniciens : « Soyez toujours dans la joie, priez sans relâche, rendez grâce en toute circonstance : c’est la volonté de Dieu à votre égard dans le Christ Jésus. N’éteignez pas l’Esprit… Mais discernez la valeur de toute chose : ce qui est bien, gardez-le ; éloignez-vous de toute espèce de mal » (1Th 5,16-20). C’est donc à la Lumière de l’Esprit, Don gratuit de l’Amour, qu’il est possible de « discerner la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui plaît, ce qui est parfait »… Or, ce qui plaît à Dieu, c’est que nous soyons tous comblés de sa Lumière et de sa Vie, un Trésor qu’il est le seul à pouvoir nous donner, un Trésor qui est le seul à pouvoir nous communiquer la vraie Vie, la sienne, le vrai Bonheur, le sien… « Recevez l’Esprit Saint » (Jn 20,22)… « Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète » (Jn 15,11). Et de cette joie, ne pourra que naître un « Merci ! », de tout cœur, et telle est « la volonté de Dieu » à notre égard, nous voir heureux… « Rendez grâce en toute circonstance : c’est la volonté de Dieu à votre égard dans le Christ Jésus »… Nous avons tous été créés pour cela, « à l’image et ressemblance de Dieu » (Gn 1,26-28), et plus précisément pour « reproduire l’image du Fils » (Rm 8,29), ce Fils, « né du Père avant tous les siècles », qui est donc éternellement « engendré » par le Père, recevant du Père dans une éternelle action de grâce la Plénitude de son Être et de sa Vie, ce Don de l’Esprit Saint qui ne peut qu’être pour lui Bonheur profond… « Jésus tressaillit de joie sous l’action de l’Esprit Saint et dit : « Je te bénis Père, Seigneur du Ciel et de la terre » » (Lc 10,21)… Alors, « recevez l’Esprit Saint » comme je le reçois moi-même du Père de toute éternité… « Je vous dis cela pour que », si vous consentez à m’écouter, si vous consentez à vous tourner avec moi vers « mon Dieu et votre Dieu », vers « mon Père et votre Père » (Jn 20,17), vous soyez vous aussi comblés comme je le suis, et qu’ainsi « ma joie soit en vous et que votre joie soit complète »…

            Nous avons tous été créés pour être heureux, et comme nous avons du mal lorsque la douleur et la souffrance frappent à notre porte… Dans l’Evangile, Jésus, « le Seigneur et le Maître » (Jn 13,14), Lui qui a apaisé d’une Parole la tempête de la mer (Mc 4,39), Lui qui a chassé tant de démons, guéri tant de malades, Lui qui, en appelant tout simplement Lazare, l’a fait sortir du tombeau (« « Lazare, viens dehors ! » Et le mort sortit. » (Jn 11,43-44), ce Jésus donc se met ici à annoncer à ses disciples qu’il va bientôt « souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands prêtres et des scribes, être tué, et le troisième jour ressusciter »... Non, ce n’est pas possible… « Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches : « Dieu t’en garde, Seigneur ! cela ne t’arrivera pas. » Comme Jésus aurait aimé, humainement parlant, qu’il en soit ainsi… Comme cela lui sera difficile d’accepter ce chemin : « Père, si tu le veux, éloigne de moi cette coupe ; cependant, que soit faite non pas ma volonté, mais la tienne » (Lc 24,42)… Alors, ici, « se retournant, il dit à Pierre : « Passe derrière moi, Satan ! Tu es pour moi une occasion de chute : tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » » En effet, l’Amour, sans contraindre qui que ce soit, sans s’imposer à qui que ce soit, va faire face à celles et ceux qui le refusent, qui le rejettent, et cela, sans jamais cesser de les aimer, sans jamais cesser de ne rechercher que leur bien… Et il le fera jusqu’au bout, jusqu’à l’extrême (Jn 13,1), jusqu’à mourir de leurs mains, continuant d’offrir sa vie pour eux et ce sang qu’ils auront versé pour leur salut, pour leur bien-être éternel…

            Et ce chemin, humainement si difficile, il le propose ici à tous ses disciples… Mais disons-le tout de suite : il dépasse nos forces humaines… Nous sommes incapables de l’emprunter par nous mêmes… Tout, pour nous, ne peut qu’être Don de Dieu… Aussi, mettons en parallèle ces Paroles de Jésus avec d’autres textes qui montrent à quel point tout nous est donné…

            « Si quelqu’un veut marcher à ma suite »… « Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire »… « Personne ne peut venir à moi si cela ne lui est pas donné par le Père » (Jn 6,44.65). « Hors de moi, sans moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15,5)…

            « … qu’il renonce à lui-même », qu’il renonce à la recherche de ses seuls intérêts, qu’il renonce à son égoïsme, autrement dit, qu’il se convertisse, qu’il se repente… St Pierre dira à ses compatriotes Juifs : « C’est lui que Dieu, par sa main droite, a élevé, en faisant de lui le Prince et le Sauveur, pour accorder à Israël la conversion et le pardon des péchés. Quant à nous, nous sommes les témoins de tout cela, avec l’Esprit Saint, que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent » (Ac 5,31-32). Et en écoutant St Pierre raconter les premières conversions des païens, ils disaient : « Ainsi donc, même aux nations, Dieu a donné la conversion qui fait entrer dans la vie ! » (Ac 11,18). Et puisque nous sommes tous pécheurs, blessés, ce Don de Dieu nous accompagne tous les jours de notre vie pour nous apprendre les bons choix à faire et nous donner la force de les faire : « La grâce de Dieu », le Don gratuit de l’Amour, le Don de l’Esprit Saint, « s’est manifestée pour le salut de tous les hommes.Elle nous apprend à renoncer à l’impiété et aux convoitises de ce monde, et à vivre dans le temps présent de manière raisonnable, avec justice et piété, attendant que se réalise la bienheureuse espérance : la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus Christ. Car il s’est donné pour nous afin de nous racheter de toutes nos fautes, et de nous purifier pour faire de nous son peuple, un peuple ardent à faire le bien » (Tt 2,11-14).

            « … qu’il prenne sa croix »… « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour votre âme. Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau, léger » (Mt 11,28-30). En effet,  il considère nos souffrances nos épreuves comme « son joug » qu’il est donc le premier à porter, avec nous et pour nous… « Il a pris nos souffrances, il a porté nos maladies » (Mt 8,17 citant Is 53,4). Et il le fait même avec ces « souffrances » qui sont les conséquences du mal que nous avons pu commettre… « Souffrance et angoisse pour toute âme humaine qui fait le mal » (Rm 2,9) ? « Lui-même a porté nos péchés, dans son corps, sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice. Par ses blessures, nous sommes guéris » (1P 2,24).

            « … et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la trouvera » car « je suis venu pour que les brebis aient la vie, la vie en abondance » (Jn 10,10). Alors, « si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive, celui qui croit en moi ! Comme dit l’Écriture : De son cœur couleront des fleuves d’eau vive. » En disant cela, il parlait de l’Esprit Saint qu’allaient recevoir ceux qui croiraient en lui » (Jn 7,37-39), « l’Esprit qui vivifie » (Jn 6,63 ; 2Co 3,6), « l’Esprit qui donne la vie » (Rm 8,2), « l’Esprit qui est vie » (Ga 5,25). Alors, « recevez l’Esprit Saint » (Jn 20,22), le Don gratuit de l’Amour…

                                                                                D. Jacques Fournier

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