La nouvelle de la conversion de Marie Alphonse RATISBONNE fut donnée à l’archiconfrérie du Saint Cœur de Marie, le dimanche 30 janvier 1842, à l’office du soir, par son frère, l’abbé Théodore RATISBONNE, le sous-directeur.
Théodore Ratisbonne
Et voilà ce qu’il dit :
« Voulant faire partager à tous nos confrères la sainte joie qui remplit nos cœurs, et ne voulant rien présenter que d’exact, nous avons prié M. Marie Alphonse RATISBONNE de nous donner lui-même la relation de sa conversion.
Voici l’extrait d’une lettre qu’il nous a écrite :
Collège de Juilly, 12 avril 1842
Ma première pensée et le premier cri de mon cœur, au moment de ma conversion, fut d’ensevelir ce secret avec mon existence tout entière au fond d’un cloître afin d’échapper au monde, qui ne pouvait plus me comprendre, et de me donner tout à mon Dieu, qui m’avait fait entrevoir et goûter les choses d’un autre monde.
Je ne voulais point parler sans la permission d’un prêtre : on me conduisit vers celui qui représentait Dieu pour moi. Il m’a ordonné de révéler ce qui m’était arrivé : je le fis, autant que cela m’est possible, de vive voix.
Si je devais vous raconter que le fait de ma conversion, un seul mot suffirait :
Le Nom de Marie !
Ma famille est assez connue, car elle est riche et bienfaisante, et à ces titres, elle tient depuis longtemps le premier rang en Alsace. Il y a eu dit-on beaucoup de piété dans mes aïeux : les chrétiens, aussi bien que les juifs ont béni le nom de mon grand-père, le seul juif qui, sous Louis XVI, obtint, non seulement le droit de posséder des propriétés à Strasbourg, mais encore des titres de noblesse. Telle fut ma famille, mais aujourd’hui, les traditions religieuses y sont entièrement effacées.
Et il raconte :
Je commençai mes études sur les bancs du collège royal de Strasbourg, où je fis plus de progrès dans la corruption du cœur que dans l’instruction de l’intelligence.
C’était vers l’années 1825 (je suis né le 1er mai 1814) ; à cette époque, un événement porta un rude coup à ma famille : mon frère Théodore, sur lequel on fondait de grandes espérances, se déclara chrétien ; et, bientôt après, malgré les plus vives sollicitations et la désolation qu’il avait causée, il alla plus loin, se fit prêtre, et exerça son ministère dans la même ville, sous les yeux de mon inconsolable famille.
Tout jeune que j’étais, cette conduite de mon frère me révolta, et je pris en haine son habit et son caractère. (…) Je n’avais éprouvé jusqu’alors ni sympathie ni antipathie pour le christianisme ; mais la conversion de mon frère, que je regardais comme une inexplicable folie, me fit croire au fanatisme des catholiques, et j’en eus horreur.
On me retira du collège pour me mettre dans une institution protestante à Paris dont le magnifique prospectus avait séduit mes parents. Je me présentais néanmoins aux examens en sortant de cette pension et, par un bonheur peu mérité, je fus reçu bachelier des lettres.
J’étais alors maître de mon patrimoine, puisque bien jeune encore je perdis ma mère, et, quelques années après, mon père : mais il me restait un digne oncle, le patriarche de ma famille, un second père, qui n’ayant point d’enfants, avait mis toute son affection dans les enfants de son frère. Il voulut m’attacher à la maison de banque dont il était le chef ; mais je fis d’abord mon droit à Paris, et après avoir reçu le diplôme de licencié et revêtu la robe d’avocat, je fus rappelé à Strasbourg par mon oncle pour me fixer après de lui.
Je ne saurais énumérer ses largesses : chevaux, voitures, voyages, milles générosités prodiguées, et il ne me refusait aucun caprice. Mon oncle ajouta à ces témoignages d’affection une marque plus positive de sa confiance : il me donna la signature de la maison, et me promit, en outre, le titre et les avantages d’associé… Promesse qu’il réalisa en effet le 1er janvier de cette année 1842.
Alphonse Ratisbonne