1 – Mc 1,14-15 : la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu
Jean-Baptiste disparaît de la scène et passe le relais à Jésus qui, de suite, va en Galilée. Cette province était située au nord de la Palestine, et elle était entourée de territoires païens : au nord et à l’ouest, la région de Tyr et de Sidon (l’actuel Liban), au sud‑est, une confédération de dix villes, la Décapole (l’actuelle Jordanie) et au nord-est, la Trachonitide (l’actuelle Syrie). Au Sud se trouvait la Samarie, héritière de l’ancien Royaume israélite du Nord ; avec le temps, les samaritains étaient devenus les « frères ennemis » des habitants de Jérusalem et de sa région (cf Jn 4,9).
Avec une telle position géographique, on comprend que le prophète Isaïe ait appelé la Galilée (mot hébreu qui signifie « district, région ») « le district des nations ». Et pour St Marc comme pour St Matthieu, cette venue de Jésus en Galilée accomplit pleinement, et pour toutes les nations, la prophétie messianique rapportée en Is 8,23b‑9,6 (cf Mt 4,12-17).
Nous pouvons d’ailleurs mieux comprendre ce qu’est « la Bonne Nouvelle » de ce « Royaume de Dieu tout proche » (Mc 1,14) en lisant ce texte du prophète Isaïe. La Galilée, « district des nations », autrefois humilié, va être glorifié car le Fils Unique de Dieu, « le Seigneur de la Gloire » (1Co 2,8), y établira sa demeure en se faisant homme parmi les hommes. Cet enfant naîtra pour nous : il est le grand cadeau que Dieu offre au monde (Is 9,5 ; Jn 6,32-33). Avec Lui, la Lumière du Dieu Lumière (1Jn 1,5) vient nous visiter (Lc 1,76-79) pour nous arracher au pouvoir des ténèbres, du mal, du péché et de la mort (Col 1,13-14 ; Jn 1,4-5, 8,12 et 12,46 ; Ac 26,16-18), nous libérer de son joug (Is 9,3 ; Jn 8,31-36) et nous donner de vivre dès maintenant, dans la foi, un mystère de communion avec Dieu (1Jn 1,1‑4).
Ce Fils appartiendra, par Joseph, son père adoptif, à la lignée de David et il sera Roi, accomplissant ainsi la promesse faite à David par le prophète Nathan (2Sm 7,12‑16) : « Ta maison et ta royauté subsisteront à jamais devant toi ; ton trône sera affermi à jamais. » Par ce Fils Roi, par ce « Prince de Paix », Dieu mettra en œuvre la Toute Puissance de son Amour pour que sa Paix règne dans les cœurs (Col 3,15 ; Ph 4,4-7). Cette Paix de Dieu accueillie par les hommes de bonne volonté (Lc 2,14) les transformera en « artisans de paix » (Mt 5,9) : soutenus par ce « Dieu-fort », ils lutteront contre toutes formes de guerre, en commençant par leur propre cœur, leur famille, leurs relations professionnelles… Chacun travaillera ainsi, à sa mesure, à ce que disparaissent « les chaussures qui résonnent sur le sol », et les « manteaux roulés dans le sang »… Voilà ce que fera, « dès maintenant et à jamais, l’amour jaloux du Seigneur Sabaoth » (Is 9,6 BJ) : c’est Lui qui nous le promet, et Il fait toujours ce qu’Il dit…
Avec Jésus, Dieu a vraiment accompli toutes ses promesses : « les temps sont accomplis » car le Christ, en mourrant pour nous sur la croix et en ressuscitant des morts a « tout accompli » (Jn 19,28-30) ; du côté de Dieu, tout est fait, tout est déjà donné … D’où l’appel de Jésus : « Convertissez-vous et croyez à cette Bonne Nouvelle ». A nous maintenant de nous convertir, c’est-à-dire de nous détourner de cœur de tout mal pour nous tourner de cœur vers Dieu. Nous pourrons alors accueillir par la foi et dans la foi sa grâce donnée en surabondance. Il est en effet « un Soleil » qui donne et donne encore « la grâce et la gloire » (Ps 84(83),12). Or, « la gloire » n’est que la manifestation d’une manière ou d’une autre de ce qu’Il Est. Un feu, par exemple, ne peut qu’émettre de la lumière ou de la chaleur. Or, l’image du feu est aussi employée pour évoquer le Mystère de Dieu : « Le Seigneur ton Dieu est un feu dévorant » (Dt 4,24). Pensons au buisson que vit Moïse : « Dieu lui apparut dans une flamme de feu, du milieu d’un buisson. Moïse regarda : le buisson était embrasé mais il ne se consumait pas. Dieu vit qu’il faisait un détour, pour voir » (Ex 3,2-4)… Que voyait Moïse ? Il voyait la lumière qui jaillissait de ce feu, il voyait la Gloire que rayonnait la Présence de Dieu… Pas de Gloire sans Dieu Lui-même : elle est « le rayonnement », « la manifestation », d’une manière ou d’une autre de son Être… Alors, quand le Psaume 84 présente Dieu comme un « Soleil » qui « donne la gloire », puisqu’il n’existe pas de « gloire de Dieu » sans ce que Dieu Est en lui-même, nous voyons déjà que le Psalmiste nous présente Dieu comme se donnant Lui-même. Il donne et ne cesse de donner ce qu’Il Est en Lui-même. Le pécheur, en se détournant de Dieu, se prive de ce Don que Dieu ne cesse de faire de lui-même… « Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu » (Rm 3,23). Mais s’il répond à l’appel de Celui qui est venu le rejoindre dans ses ténèbres pour lui proposer le pardon de tous ses péchés (Lc 1,76-79 ; 5,20) et l’inviter à se tourner de tout cœur vers la Lumière, il ne pourra que découvrir cette Lumière en l’accueillant… Elle ne vient pas de lui, elle n’est pas avant tout le résultat de ses efforts ni le fruit de ses bonnes actions. Elle est là car « Dieu est un Soleil », il brille, brille, et ne cesse de briller : « Il donne sa gloire » et donc ce qu’Il Est en Lui-même… « Père, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée » (Jn 17,22)… Or « Dieu est Esprit » (Jn 4,24), « Dieu est Saint » (Lv 11,44-45 ; 19,2 ; 20,26 ; 21,8 ; 1P 1,16 ; Is 57,15 ; Ps 99(98),3.5). Donner la gloire, c’est donc donner l’Esprit Saint… « Recevez l’Esprit Saint », dit Jésus à ses disciples. Et encore : « Jésus, debout, s’écria : Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive, celui qui croit en moi ! selon le mot de l’Écriture : De son sein couleront des fleuves d’eau vive. Il parlait de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui avaient cru en lui » (Jn 20,22 ; 7,37‑39).
Et Dieu est toujours là, le premier, pour nous aider à nous tourner vers Lui : sa Présence offerte est à la base de notre conversion (Jn 6,65). Il nous invite (Lc 14,15‑24 ; Ap 19,9), Il nous encourage (Jn 16,33 ; Ac 23,11 ; Lc 18,1), Il nous réconforte, Il nous console (2Co 1,3-7 ; Rm 15,5-6 ; 2Th 2,16-17), Il nous attire (Jn 6,44 ; 12,32), Il nous pousse (Lc 2,27), Il nous porte (Lc 15,4-6) de telle sorte que « se convertir » est encore un don de Dieu (Ac 5,30-32 ; 11,18) : il suffit simplement de ne pas lui dire « non », de consentir à sa Présence et à son action, de le laisser faire en nos cœurs et en nos vies ce qu’il désire. En un mot, il s’agit de le « suivre »…
2 – Marc 1,16-20 : l’appel des premiers disciples
St Marc a dans la tête un schéma type « d’appel » qu’il emploie ici par deux fois :
Mc 1,16-18 : l’appel de Simon et André
1 – Comme il passait sur le bord de la mer de Galilée,
2 – il vit Simon et André, le frère de Simon,
qui jetaient l’épervier dans la mer; car c’étaient des pêcheurs.
3 – Et Jésus leur dit :
«Venez à ma suite et je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes.»
4 – Et aussitôt, laissant les filets,
5 – ils le suivirent.
Mc 1,19-20 : l’appel de Jacques et Jean
1 – Et avançant un peu,
2 – il vit Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère,
eux aussi dans leur barque en train d’arranger les filets;
3 – et aussitôt il les appela.
4 – Et laissant leur père Zébédée dans la barque avec ses employés,
5 – ils partirent à sa suite.
Jésus a l’initiative ; c’est Lui qui, le premier, va vers ses futurs disciples (1) et il pose sur eux un regard d’amour (2) qui va jusqu’au plus profond d’eux-mêmes (Jn 1,47‑50). Jésus les rejoint dans leurs occupations habituelles (2) et il leur parle (3) ; sa Parole a l’efficacité de la Parole créatrice de Dieu : « Il dit et cela fut » (Gn 1,3…). A cette Parole qui leur était directement adressée, les disciples eurent-ils « le cœur tout brûlant » (Lc 24,32) ? Le texte ne le dit pas… Toujours est-il qu’ils se mettent aussitôt à « suivre » celui qui, dorénavant, aura toujours la première place dans leur vie. On peut aussi remarquer que Jésus leur présente leur nouvelle vocation en employant un langage qu’ils connaissent bien : celui de la pêche. Et ce sera encore Jésus qui leur donnera de pouvoir répondre à son appel : « Je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes »… (2Co 3,4‑6 ; 1Co 15,10 ; Jn 1,12). Enfin, il sera toujours avec eux, jusqu’à la fin du monde (Mt 28,28) ; il marchera devant eux et il les guidera sur le chemin de leur mission : laissant tout (4), ils partirent à sa suite (5)…
Il en est toujours ainsi dans notre vie chrétienne : Dieu est toujours avec nous (Mt 6,6 ; 28,20 ; Jn 14,15-17), offert à notre foi, nous guidant sur le chemin de notre vie et nous donnant toujours tout ce qu’il faut pour que nous puissions répondre à ses appels. Ainsi par exemple pour le commandement de l’amour (Jn 15,17) : la grâce reçue au jour de notre baptême nous aide, jour après jour, à le mettre en œuvre (Rm 5,5)… A nous maintenant de lui ouvrir notre cœur par la prière pour recevoir le Don de Dieu (Ac 2,38).
3 – Mc 1,21-28 : à la synagogue de Capharnaüm
Ce texte est construit de façon symétrique autour d’un centre : Jésus et sa Parole Toute Puissante qui impose silence aux esprits mauvais et les expulse hors de l’homme (A’ répond à A, B’ à B, C’ à C, et au milieu, D, la Parole de Jésus) :
(21) A – Ils pénètrent à Capharnaüm.
Et aussitôt, le jour du sabbat, étant entré dans la synagogue, il enseignait.
(22) B – Et ils étaient frappés de son enseignement,
car il les enseignait comme ayant autorité, et non pas comme les scribes.
(23) C – Et aussitôt il y avait dans leur synagogue un homme possédé d’un esprit impur,
qui cria (24) en disant : « Que nous veux-tu, Jésus le Nazarénien ?
Es-tu venu pour nous perdre ?
Je sais qui tu es : le Saint de Dieu. »
(25) D – Et Jésus le menaça en disant: « Tais-toi et sors de lui ! »
(26) C’ – Et le secouant violemment, l’esprit impur cria d’une voix forte et sortit de lui.
(27) B’ – Et ils furent tous effrayés, de sorte qu’ils se demandaient entre eux:
« Qu’est cela? Un enseignement nouveau, donné d’autorité !
Même aux esprits impurs, il commande et ils lui obéissent ! »
(28) A’ – Et sa renommée se répandit aussitôt partout, dans toute la région de Galilée.
Faisons quelques remarques :
-
Les mots « enseigner » et « enseignement » reviennent souvent (v. 21-22 et 27) : la mission principale de Jésus est d’enseigner la Bonne Nouvelle : « Dieu est tout proche» (Mc 1,38 ; Lc 4,42-44), sa Lumière éclaire déjà notre vie (Jn 1,9)…
-
La notion « d’autorité » (pouvoir, capacité) est importante : Jésus peut vraiment faire ce qu’Il dit. Ce mot lui est appliqué sept fois en St Marc, symbole de perfection. L’autorité (pouvoir, capacité) de Jésus est en fait celle-là même de Dieu. Il la mettra en œuvre pour remporter la victoire sur toute force hostile, pour pardonner les péchés (Mc 2,10) et instaurer ainsi le Règne de Dieu parmi les hommes. Et ce Règne sera avant tout celui de la Miséricorde. Celui et celle qui la recevront en seront bien sûr les premiers bénéficiaires. Mais s’ils acceptent en vérité que cette Miséricorde règne en eux sur leur misère, cette Présence en eux de la Miséricorde de Dieu les invitera aussi à pratiquer la Miséricorde pour tous ceux et celles qui les entourent… « Heureux» alors seront-ils, car nul ne peut donner ce qu’il n’a d’abord reçu. « Donner la Miséricorde » sera bien le fruit objectif qui montrera qu’ils l’ont d’abord reçue. Et « heureux» tous ceux et celles qui, en recevant la Miséricorde de Dieu, en seront les premiers bénéficiaires (Mt 5,7) !
Aujourd’hui, ce récit de victoire sur « l’esprit impur » nous invite à remettre au Seigneur notre cœur et notre vie pour qu’il fasse de même pour nous. Par sa mort et sa résurrection, Il a remporté la victoire sur le Prince de ce monde. Libre et souveraine, sa Lumière a jailli des ténèbres du tombeau et de la mort et celles‑ci n’ont rien pu faire pour la retenir (Jn 1,5 ; 14,30). Puis, selon sa promesse, le Christ ne nous a pas laissés orphelins : sans cesse, il vient à nous (Jn 14,18), il se propose à notre cœur et à notre foi (Ap 3,20) pour nous prendre auprès de Lui dans un mystère de communion avec Lui et avec son Père en un seul Esprit (Jn 14,3 ; 17,20-24 ; 1Co 1,9 ; 2Co 13,13 ; 1Jn 1,3), l’Esprit d’Amour (Jn 4,24 avec 1Jn 4,8.16 ; Rm 5,5 ; Ga 5,22) et de Miséricorde (Rm 15,9 ; 2Co 1,3 ; Ep 2,4 ; Tt 3,5 ; Lc 1,50.54.78 ; 6,36). Dieu veut en effet que « nous entrions en possession du Salut par notre Seigneur Jésus Christ qui est mort pour nous afin que, éveillés ou endormis, nous vivions unis à Lui » (1Th 5,10). Ce mystère d’union au Christ est le grand cadeau de notre baptême : ce jour-là, nous avons reçu le don de l’Esprit Saint, ce même Esprit qui habite en plénitude le cœur de Jésus et celui du Père. D’une manière invisible mais bien réelle, Dieu nous a alors offert, dans sa grande miséricorde, de vivre « unis à Lui », « en communion avec Lui » (1Jn 1,3) dans la foi et par notre foi. Tel est « l’espace » ouvert à notre cœur (Jn 10,9), un « espace » où Dieu règne : tout ce qui n’est pas en harmonie avec Lui ne peut qu’être « jeté dehors » (Jn 12,31), hors de ce mystère de communion, et donc hors du cœur de l’homme, hors de notre cœur. « Tais‑toi et sors de lui ! »… Laissons le Christ ressuscité prononcer en nous la même Parole, jour après jour. Il sera la victoire de nos combats (Rm 16,20), et il nous donnera de vivre sans crainte (Mt 8,26 ; Jn 14,1), dans son amour (Jn 15,9-11) et dans sa paix (Jn 14,27).